ENQUÊTE : la drogue du violeur, toujours d’actualité ?

Qui n’a jamais entendu parler de ce phénomène ? Un petit cachet dissimulé dans un verre d’alcool et le tour est joué. Certains entendent encore la voix de leurs parents « ne laisse jamais trainer ton verre ». L’acte semble très vicieux, rare, même dépassé et pourtant, les victimes sont encore nombreuses, de nos jours…

Une simple soirée entre amis, un peu arrosée, une situation banale finalement, puis en quelques secondes tout peut basculer. La drogue du violeur est un système tout simple, mélangé à l’alcool, la substance va rendre la victime totalement hors de contrôle d’elle même, jusqu’à se retrouver le lendemain, sans aucun souvenir. La plupart du temps, la victime aura été violée et maltraitée. Il existe une vingtaine de substances associées à la drogue du viol, mais deux d’entre elles sont plus fréquemment utilisées. Le Rohypnol et le GHB. Leur prise provoque des effets particuliers : sensation soudaine de vertige, euphorie, puis amnésie partielle ou totale. Le Rohypnol se définit comme un sédatif hypnotique. Ses effets sont dix fois plus puissants lorsque cette pilule, plus petite qu’un cachet d’aspirine, est mélangée à de l’alcool. Habituellement utilisé pour soigner l’insomnie et l’anxiété, il reste peu cher et très accessible. Autrefois sans couleur, sans goût et sans odeur, il était très simple de le mélanger incognito à une boisson. Depuis 1997, des chercheurs lui ont associé un colorant bleu qui rend plus visible sa dissolution (sauf dans les cocktails colorés). Combiné à de l’alcool ou du cannabis, ce produit devient véritablement dangereux : désinhibition, somnolence, nausées et perte de la capacité de jugement, de mémoire, difficulté à s’exprimer clairement et à marcher droit et parfois perte de conscience. Une fois avalé, ses effets apparaissent dans les
20 minutes suivant son ingestion et durent environ 8 heures. Il est alors très difficile pour la victime de réagir à temps.
Qualifié danesthésiant euphorisant, le GHB est lui aussi utilisé dans un cadre médical, pour les anesthésies générales notamment. On le trouve principalement dans les boîtes de nuit et toutes autres soirées où il est vendu illégalement pour seulement 15 euros la dose, sous la forme de poudre, cachet ou liquide. Ses effets sont aussi très rapides. Sensation d’ivresse avec flottement, perte d’équilibre et de repère de temps, impression de bien-être, hypersensibilité, euphorie…
Une forte dose ou la prise avec alcool se traduit par une réelle action hypnotique, le manque de souvenir au réveil, et même dans le pire des cas des convulsions ou des comas. La combinaison des effets hypnotiques désinhibants de cette substance évoque toute sa dangerosité et explique cette appellation de « drogue du viol ».
Ces drogues sont très difficiles à déceler. Elles sont très rapidement évacuées par l’organisme en moins de 24 heures. Cette pratique a fait naître une nouvelle génération d’agressions et de violeurs. Viols et vols sans violence ni menace, souvenirs incertains, victimes « consentantes » et parfois même initiatrices, donnant le sentiment aux agresseurs d’agir sans commettre d’infractions. Porter plainte ou même parler d’une telle agression devient de plus en plus problématique, et par là, douloureux.

 

 « J’ai terminé mon verre, de la manière la plus naïve possible. Et après, trou noir », Natacha, 28 ans, victime de la drogue du violeur.

C’est 5 ans après le drame que Natacha à voulu se confier. «Je croyais que la solution était d’oublier, mais raconter mon malheur a été ma véritable thérapie», nous confie Natacha, 28 ans, professeur d’EPS à Toulouse. Cette soirée, elle s’en souviendra toute sa vie…
Ce 3 décembre 2011, elle était partie faire la fête avec ses amis, dans un célèbre bar toulousain rue Gabriel Péri. Son dernier verre, sera son dernier souvenir. « Je ne bois jamais beaucoup, j’ai du boire 2-3 verres étalés dans la soirée, j’ai laissé mon whisky-coca sur la table et je suis partie danser avec mes amis, puis j’ai eu soif, j’ai terminé mon verre, de la manière la plus naïve possible. Et après, trou noir.» raconte la jeune femme. Le lendemain, Natacha se réveillera à l’hôpital «je n’ai pas compris ce que je faisais là, c’est très perturbant, je me posais pleins de questions mais j’étais bien loin d’imaginer ce qu’il s’était passé, et la réalité était pire que tout». Ce soir là, Natacha a été battue,violée, et abandonnée dans une ruelle. Ce soir là, Natacha a été abusée, simplement en finissant son verre. Récupérée par les forces de l’ordre, Natacha sera transportée à l’hôpital, retrouvée avec de nombreuses marques de coups. «Ils sont venus me voir et ils m’ont dit «vous avez été droguée et violée mademoiselle », imaginez le choc, je me sentais perdue, sale, honteuse, je ne voulais voir personne». Ce qui devait être une simple soirée entre amis s’est transformé en drame pour cette Toulousaine de 28 ans. « J’avais entendu ces histoires de drogue dans le verre mais je pensais que c’était dépassé. Aujourd’hui, je peux vous dire que j’ai mis beaucoup de temps avant de ressortir, cela m’arrive même très rarement et je ne consomme plus du tout.» Maman d’une petite fille de 2 ans, Natacha s’est jurée de mettre en garde ses enfants sur les dangers des sorties. Aujourd’hui, elle vit avec ce terrible souvenir, mais des questions persistent. «Je ne saurai jamais qui a abusé de moi, c’est ça le plus terrible je pense, peut-être que je le croise tous les jours au travail, ou dans la rue… je ne sais pas. Mes amis m’ont raconté plusieurs versions de la fin de soirée , là aussi c’est un mystère. Alors je serre les dents, et j’essaye d’avancer… »

 

« J’ai eu la présence d’esprit de ne pas terminer ce verre, elle non… » Maud, 18 ans, étudiante à Toulouse

Cela s’est passé il y a tout juste une semaine, le 9 février 2017 à Toulouse, au Trader’s Pub rue de l’industrie. Maud, étudiante en ostéopathie se rend dans ce bar accompagnée de son amie Marie pour célébrer la fin de leurs partiels. « Nous n’étions que deux, on attendait les autres de la classe ». Après quelques verres, Maud et Marie décident de laisser leur fond de mojito sur la table pour sortir fumer. À leur retour, Marie termine son verre, Maud non : « ma mère m’a toujours dit de ne jamais laisser mon verre, ou de ne pas le terminer si je viens à l’abandonner, même quelques secondes, alors j’avais ça en tête, je n’ai pas bu ». Juste après, les deux jeunes filles partent retrouver leurs camarades dans un autre bar. C’est au moment de partir en boite, seulement 20 minutes après qu’elle ait terminé son fond de mojito, que Marie s’effondre par terre, sous les yeux de ses amis. « J’étais choquée, je l’appelais, je lui disais de se relever mais elle ne bougeait pas. Nous avions bu exactement la même chose, cela ne pouvait pas être l’alcool, j’ai directement pensé à cette drogue » raconte Maud. « Nous avons essayé de la faire vomir, de lui donner de l’eau. Elle ne tenait pas debout, elle ne faisait que baver, j’ai eu très peur pour elle. Marie passera toute la nuit dans cet état, avant de se réveiller le lendemain sans aucun souvenir, juste avec un sentiment de honte, mais en sécurité chez ses amis. « Peut-être que si l’on était restées dans ce bar elle aurait fini par se faire agresser, peut-être que si j’avais fini mon verre moi aussi, j’aurais couru le même danger. En tout cas cette histoire me sert de leçon, j’ai eu de la chance » témoigne Maud.

Les bars eux, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Conscients du phénomène qui existe dans leurs établissements, ils se déchargent de toute responsabilité. Notre enquête nous a amené à entendre de nombreux témoignages, certains anonymes, d’autres non diffusables. Mais nous pouvons affirmer que la plupart de ces agressions à Toulouse ont lieu dans des établissements situés dans le secteur de la rue Gabriel Péri, prés des allées Jean-Jaurès.

Quelles solutions ?

Le but de cette enquête est de faire prendre conscience que le danger est partout, et toujours d’actualité. Mais attention ! L’heure ne doit pas être non plus à la psychose. Sarah Jollés, infirmière à Toulouse nous donne quelques conseils. « Il m’arrive souvent d’avoir affaire à des victimes de ce phénomène. Beaucoup sont retrouvées dans la rue et transportées à l’hôpital. C’est très difficile de leur faire comprendre ce qu’il s’est passé, et encore plus quand on doit leur avouer qu’elles ont été violées. Pour que ce phénomène disparaisse, il faut prendre quelques précautions. Évidemment, ne jamais laisser traîner son verre ou ne jamais accepter un nouveau verre sans avoir pu vérifier qu’il sort directement du bar. Garder un œil sur ses amis, pour pouvoir repérer un comportement anormal et pouvoir les protéger. Il faut savoir également réagir aux conséquences de l’injection inconsciente de la substance. Autre solution à venir, en 2014, des étudiants ont mis au point un vernis à ongles capable de détecter certaines substances chimiques, dont le GHB et le Rohypnol. Pour le moment, le vernis n’est commercialisé qu’aux États-Unis mais il ne faudra pas attendre longtemps avant de pouvoir le retrouver en France. »
En conclusion, on continue de faire la fête tout en étant vigilants. Mieux vaut prévenir que guérir…

 

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