Depuis toujours porteur d’une réputation sulfureuse, le quartier d’Arnaud Bernard, situé en plein coeur de Toulouse, semble être empreint à une véritable mutation. Difficile d’imaginer ce quartier turbulent comme vecteur de culture et de diversité dans son cadre insalubre et théâtre de trafics en tout genre. Quartier emblématique de la ville rose, les plus aptes à nous en parler restent encore ses habitants, aux premières loges de ce changement radical.
A Arnaud-Bernard, il semble faire bon vivre. C’est un pur quartier toulousain, façonné à la brique rose et aux volets bleu ciel. Idéalement situé à deux pas de la basilique St. Sernin et aux portes de la prestigieuse place du Capitole. Les façades des immeubles de la place éponyme pourraient presque nous faire oublier qu’on est en plein Toulouse. Mais sous ses airs de quartier pittoresque, sa réputation le précède. Quel touriste aurait pu imaginer que ce quartier populaire et coloré était aussi lieu de traffics et de violences ?
Depuis bien des années les riverains s’en plaignent : les nuisances en tout genre de ce quartier dit « difficile » ternissent leurs quotidiens. Considérés comme négligés par la mairie, les éternels oubliés d’« Arnaud-Ben’ » ont vociféré leurs colère à de nombreuses reprises. En janvier 2016, les habitants avaient réunis leurs mécontentement dans une lettre adressée au maire de Toulouse, appuyée d’une pétition. Comment ignorer le mal-être de ces riverains qui voient leurs quartier dépérir sans aucune intervention municipale ?
Les habitants, premiers concernés
Houria a la quarantaine et vie à Arnaud-Bernard depuis « une dizaine d’années déjà », une baguette de pain sous le bras elle semble avoir un comme un pincement au coeur quand on lui demande comment c’est, la vie dans ce quartier. « Quand je suis arrivée à Toulouse c’est ici que je me suis installée, et je n’en suis jamais partie. La vie ici n’est pas toujours facile, mais j’aime mon quartier et n’en suis pas prête d’en partir. » Un attachement sentimental à son quartier pour lequel elle est prête à se battre « Si il faut éliminer les trafiquants et les petits voyous un à un on le fera. »
Nouvelle locataire, Antonine est étudiante et vie depuis peu dans une ruelle en périphérie du quartier. Originaire de Auch, elle observe cette mutation médiatisée d’un oeil discret. « Je ne ressens pas vraiment une mutation parce que je n’y suis que depuis pas longtemps mais après c’est vrai qu’il y a souvent en soirée une voiture de police et puis des caméras. » Passant par la place Arnaud Bernard chaque matin et chaque soir pour se rendre en cours, elle constate les efforts policiers pour maintenir un semblant de calme. « Je me sens en sécurité quand je passe, même en soirée ou tard le soir, je ne ressens pas de danger. »
Une vie de quartier turbulente
Frappé par les trafics de drogues et de revente de cigarettes, la mairie de Toulouse avait déjà tenté une première approche pour diminuer ces ventes qui troublent jusqu’au quotidien des habitants. Piétonnisation du quartier et apparition de bornes visant à éradiquer le « drive »(vente de drogue faite à bord de véhicule à la manière d’un drive). Rien n’y fait, les petits trafiquants contournent ces nouveaux obstacles et rien ne semble les stopper.
Jean-François ne vie pas à Arnaud Bernard, mais y passe régulièrement. C’est comme il se décrit « un vieux de Toulouse », la cinquantaine et un regard un brin rêveur, il se souvient de ce quartier de sa jeunesse. Véritable melting-pot culturel, il y faisait bon vivre. Désormais, il déplore sa dégradation et le manque de sécurité. « C’est un beau quartier, plein centre, proche de tout, c’est tellement dommage que son histoire soit bafouée par des petits voyous qui ne cherchent qu’à foutre la merde. ».
Dans l’harmonie du paysage, ce qui attire le regard, ce sont aussi les caméras de surveillances. Trônant sur les hauteurs des bâtiments, comme des gargouilles protectrices. Le quartier en compte six. Un dispositif préventif installé par la mairie visant à dissuader les voyous de troubler l’ordre public. Et pourtant, à quelques mètres d’une caméra, rue Gatien-Arnoult, un jeune homme en capuche vient de revendre deux paquet de cigarettes, en pleine journée. L’échange est rapide, l’affaire de quelques secondes. Il suffit d’observer un peu les rues alentours pour se rendre compte qu’ils sont nombreux, ces revendeurs. Dans l’ombre, ils font leur besogne à l’abris des regards indiscrets. C’est ces trafics omniprésents qui rythment la vie du quartier quand ce ne sont pas les violences.
Théâtre de nombreux rixes et règlements de comptes, le nom du quartier avait résonné dans le cœur des Toulousains pendant l’été 2016 lors du meurtre de Maice Monpierre, 32 ans, tué de plusieurs balles. La police avait pu intervenir rapidement, alertée par le dispositif de vidéo-surveillance, un atout clé pour les forces de l’ordre. Tout ça s’était déroulé au Raggae Pub, une discothèque bien connue d’Arnaud Bernard. Sa réouverture sous le nouveau nom de Sun 7 a suscité de nombreuses oppositions de la part des riverains se plaignant des nuisances et soulignant que « les activités de cet établissement ont été et sont en contradiction totale avec la politique d’apaisement et de dynamisation du quartier initiée par la mairie. » une pétition avait même été lancée pour interdire cette réouverture.
De la culture pour combattre les maux
Le collectif Femmes d’AB (pour Arnaud Bernard) créé en 2010 et présidée par Nancy Diouf met en lumière toutes les femmes qui participent à l’émancipation culturelle du quartier. Souhaitant affirmer la place de la femme au sein de ce quartier où elle est bien trop souvent dénigrée, elles font passer leurs messages positifs au travers d’évènement culturels dans l’espace publique d’Arnaud Bernard.
Arnaud Bernard est un quartier historique, marqué par les générations qui en ont façonné cette culture qui lui est propre. Bien que sa réputation soit entachée, il semblerait que la mairie ai répondu à l’appel au secours des riverains et que les choses commencent enfin à bouger.h
Justine Seguin