Toulouse est connue pour la couleur de ses briques ou ses activités aéronautiques, elle l’est moins en ce qui concerne l’écriture braille. Et pourtant, la Ville rose occupe une place centrale dans son développement. Saviez-vous que notre médiathèque possède le fonds de livres braille le plus important du pays ? Ou encore que l’inventrice du premier logiciel informatique de transcription en braille est Toulousaine ? Notre grand format consacré à cette écriture vous emmène au CTEB, le Centre de Transcription et d’Édition en Braille.
À l’origine, une dame
« Je n’ai dormi que trois heures par jour pendant dix ans », se souvient Monique Truquet, la fondatrice du Centre de Transcription et d’Édition en Braille (ou CTEB). Elle a aujourd’hui 84 ans et a consacré sa vie à la transcription de documents en braille. Tout a commencé à l’Université Paul-Sabatier de Toulouse. Monique Truquet était alors ingénieur de recherche. « Il fallait que je trouve un sujet de thèse et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de logiciel de transcription en braille. Je me suis dit : pourquoi tu ne prendrais pas un sujet qui aide les non-voyants ? Et j’y suis arrivée ! J’ai créé un premier logiciel de transcription en braille intégral, puis un second en braille abrégé », raconte-t-elle.
Cette informaticienne s’est confrontée au machisme de la société, à la jalousie de ses collègues et aux plus grandes universités américaines. Derrière cette petite dame, il se cache une battante. « J’ai toujours su que j’allais y arriver. Alors une fois mon logiciel terminé, je l’ai testé en produisant des documents en braille pour les étudiants. Dans les années 60, il n’existait pas d’imprimante capable d’embosser, c’est-à-dire de marquer des points en relief sur du papier. Je détournais une imprimante classique et j’utilisais la salle informatique de l’université jusqu’à 2 heures du matin », raconte-t-elle.
Un couple de non-voyants lui confie un jour avoir honte de ne pas pouvoir lire leurs relevés bancaires. « Ils demandaient à leur voisin de leur lire. C’est humiliant. J’ai donc décidé de les aider », résume-t-elle.
Interview de Monique Truquet, fondatrice du CTEB de Toulouse et inventrice du premier logiciel informatique de transcription en braille :
Monique Truquet a terminé son logiciel de transcription du Français en Braille intégral et abrégé en 1966. Onze ans plus tard, elle obtient un prix pour ses recherches afin de réaliser le premier terminal braille. Le braille étant universel, ses travaux intéressent le monde entier. Elle sillonne les Etats-Unis pour présenter son système d’abréviation et inspire même les chercheurs du MIT. « Je séparais les suffixes et les préfixes de la racine des mots et je les abrégeais. Un peu comme de la sténographie si vous voulez », image-t-elle.
Ce système s’est aujourd’hui généralisé. Les personnes déficientes visuelles apprennent à lire le braille dans ces deux versions. Une gymnastique nécessaire pour diminuer les coûts de production et le volume des documents en braille.
La transcription en braille depuis 1989
La démarche innovante de Monique Truquet intéresse en premier lieu le secteur bancaire, qui souhaitait faire bénéficier ses clients non-voyants de leurs relevés bancaires en braille. Face à la hausse de la demande, elle décide d’ouvrir une association : le CTEB. Elle cherche alors des partenaires pour financer son projet. Des locaux lui sont prêtés par la mairie de Toulouse en 1989. Puis les premiers financements lui permettent d’acheter du matériel pour embosser en braille.
Le CTEB s’est développé autour de trois activités : la librairie, le secteur privé et le secteur public. « Nous transcrivons des livres en braille pour tous les âges. Nous avons aujourd’hui 1300 ouvrages dans notre librairie et chaque année nous y ajoutons 80 nouveautés. Ces dernières sont en lien avec l’actualité, le prix Goncourt et les goûts de nos lecteurs », explique Adeline Coursant, la directrice. Cela parait peu en comparaison avec les livres en noir (c’est-à-dire imprimés, NDLR) qui sont publiés chaque année. « Après, c’est une question de moyens », précise-t-elle. Et d’ajouter : « La production d’un livre en braille revient extrêmement cher ! La tarification d’un livre est faite en fonction du son nombre de pages et de son nombre de volumes en braille. Un livre d’environ 300 pages coûte 550€ à transcrire. Évidemment on ne peut pas le vendre à ce prix-là. »
Si un livre coûte 550€, le CTEB espère qu’il sera vendu en dix exemplaires. Le centre dispose d’une subvention de la part du ministère de la Culture pour les soutenir. Cette dernière lui permet de vendre ses livres à 122€ maximum pour les bibliothèques ou médiathèques. « Les particuliers bénéficient d’une remise de 50% sur ce prix. Ils commandent par téléphone ou sur notre site internet. Cela facilite l’accès à la culture et à l’information pour les personnes déficientes visuelles », se réjouit Adeline Coursant.
Les bibliothèques et médiathèques de France qui disposent d’un rayon « accessibilité » pour les personnes non-voyantes, s’approvisionnent directement dans le catalogue du CTEB. « Nous fournissons même celles des pays francophones, tels que la Suisse, la Belgique, le Canada et des pays d’Afrique », complète Adeline Coursant. « La médiathèque de Toulouse achète tous nos livres, sans exception », souligne-t-elle.
Le centre s’occupe également de la transcription des magazines et des journaux institutionnels pour plusieurs villes de France. Depuis la loi handicap 2005, la signalétique en braille se met progressivement en place dans tous les établissements qui accueillent du public. Le CTEB essaye donc de développer ce service depuis trois ans. Dans cette même optique, le centre de transcription et d’édition en braille dispose désormais de son propre label « Menu en braille ». « On aimerait que chaque restaurateur puisse être en mesure de proposer un menu en braille, accessible à la fois pour les non-voyants et les mal-voyants », explique Adeline Coursant.
Le centre édite des documents pour quasiment toutes les banques de France. « C’est notre activité principale en terme de chiffres d’affaires », rappelle la directrice du CTEB. « Cela représente entre 7 000 et 10 000 relevés bancaires par mois. Comme il n’existe pas de machine automatisée pour leur mise sous pli, trois bénévoles de La Poste viennent nous aider chaque mois », précise-t-elle.
La directrice Adeline Coursant présente les produits du CTEB :
Sept personnes sont aux manettes :
Il y a très peu d’imprimerie braille en France. « Nous sommes seulement trois-quatre imprimeries avec des secteurs d’activités différents. Le CTEB est la seule imprimerie à vendre des livres », annonce sa directrice. En effet, des associations, telles que Valentin à Paris ou le GI2A à Toulon, produisent également des livres, mais fonctionnent avec un système de prêt. Le lecteur renvoie le livre une fois qu’il l’a terminé.
Le centre de transcription et d’édition en braille est composé d’une petite équipe de sept personnes et d’une quinzaine de bénévoles. Il y a trois transcriptrices, une rédactrice, qui est également en charge de la communication de l’association et de la préparation des magazines et journaux institutionnels, et deux techniciens d’imprimerie, qui vont produire le braille et réaliser les commandes jusqu’à leur expédition.
Interview de Pilar Rodriguez, transcriptrice au CTEB de Toulouse :
Interview d’Agnès Cappelletto, transcriptrice au CTEB de Toulouse :
Interview de Laetitia De Grenier, rédactrice et chargée de communication au CTEB de Toulouse :
Tous les six mois, un comité de lecture choisit les livres à transcrire. Les fichiers d’auteurs des livres sont récupérés auprès de la Bibliothèque nationale de France. « On bénéficie d’une exception handicap et on ne paye pas de droits d’auteurs », précise la directrice. Ces fichiers sont alors modifiés avant d’être embossés. Les notes en bas de pages, les images et les illustrations sont retirées. Le fichier est alors transcrit en braille intégral ou abrégé avec le logiciel. Le premier exemplaire embossé est par la suite envoyé à un bénévole correcteur non-voyant. « Ils sont très qualifiés en braille. La plupart d’entre eux sont professeurs de braille dans des écoles. Nos corrections sont donc impeccables », se réjouit Adeline Coursant. Une fois corrigé, le livre est inscrit dans le catalogue du CTEB.
En moyenne, le temps de production d’un livre est de trois semaines. « Notre association est connue pour sa qualité de braille, on ne souhaite donc pas aller plus vite, mais garantir un livre sans aucune faute », explique sa directrice avant de se confier sur un projet en cours. « Avec la Fédération française des aveugles, nous réfléchissons à transcrire des livres à la demande en un temps record d’une semaine. Notre objectif est de faire payer ce livre en braille au prix du livre classique. Pour y arriver, on ne peut pas réduire nos coûts de production, mais nous pourrions faire appel aux éditeurs de livre. Ils pourraient nous attribuer un centime sur chacune de leurs ventes d’un livre afin de financer sa transcription. Cela permettrait aux non-voyants d’avoir accès à la même production que tout le monde. »
Découvrez les différentes étapes de production d’un livre en braille. Interview de Clément Jeneste, technicien d’imprimerie au CTEB de Toulouse :
« Les difficultés sont surtout financières », confie Adeline Coursant. Les machines à embosser coûtent très cher, entre 30 000 et 100 000€ chacune. Le CTEB en possède sept. « Il n’y a pas d’embosseuse française. Elles sont capricieuses, difficiles à entretenir et dès qu’il y a un souci, nous devons les envoyer en Espagne. Il y a aussi une part de volonté politique et du secteur privé à vouloir rendre accessible certains services », conclut-elle.
Un fonds braille depuis le 2e guerre mondiale
Le pôle L’Oeil et la Lettre de la médiathèque de Toulouse est créé en 2004. Installé au 3e étage, il permet à des personnes physiquement empêchées de lire d’accéder aux textes. « Nous proposons des collections audio, en braille, en gros caractères ou numériques », présente Sophie Grabielle, responsable de publics. Ce qui fait la particularité de la Bibliothèque de Toulouse, c’est qu’elle dispose d’un nombre d’ouvrages en braille important. Elle possédait déjà un fonds braille, qui avait été constitué depuis la deuxième guerre mondiale par des subventions pour les mutilés de guerre. Il était géré par l’association Les Amis de la Bibliothèque Braille (qui n’existe plus aujourd’hui, NDLR).
« Cela représente 5000 titres. Ce qui est beaucoup pour du braille, mais qui est très peu par rapport aux 800 000 documents de la bibliothèque », détaille Sophie Grabielle. ‘Il y a tellement peu de production en braille que nous achetons tout ce que fait le CTEB ! Ce qui m’inquiète, c’est le manque de livres en braille destinés aux enfants. Là, c’est la grande misère. Ce n’est plus du texte, c’est de l’illustration en relief et les livres tactiles sont souvent faits de manière artisanale », regrette-t-elle.
Le CTEB, en partenariat avec la médiathèque de Toulouse, a développé sa collection enfant et adolescent cette année. Le centre a réalisé une enquête nationale et a échangé avec le pôle jeunesse pour cibler les emprunts adaptables en braille. Pour faire du relief et adapter des dessins, voire même des plans d’évacuation, d’une chambre d’hôtel ou d’un musée, le centre de transcription et d’édition en braille est en train d’expérimenter une nouvelle machine.
Voici la dernière technologie du CTEB de Toulouse : le vernis en relief
Le braille est-il de moins en moins utilisé ?
Le débat sur l’avenir du livre papier contre le numérique concerne également le braille. Pour Sophie Grabielle, les livres numériques sont une incroyable opportunité pour les personnes déficientes visuelles. « Ils permettent par exemple d’avoir la rentrée littéraire en audio en même temps qu’elle est publiée en magasin. Le braille prend un certain temps à être imprimé et coûte cher. C’est une avancée énorme et moins volumineuse. Mais tout le monde n’aime pas l’audio », argumente-t-elle. « On dit que le braille est en perte de vitesse, qu’il est moins enseigné, mais même pour utiliser l’informatique, il faut savoir écrire le braille ! », complète-t-elle.
Même constat pour Adeline Coursant, la directrice du CTEB. « Même si les outils se développent, toutes les générations ne sont pas formées à l’utilisation d’internet. Le braille papier est donc nécessaire », rappelle-t-elle. « Il n’y a pas forcément débat. Ces deux modes de lecture ne sont pas en opposition, mais complémentaires. Soit on préfère lire sur tablette, soit on préfère avoir un livre entre ses mains. En tout cas c’est un de nos projets pour 2018. Deux stagiaires en informatique de l’université Paul-Sabatier vont mettre en place une collection de livres numériques », annonce-t-elle. À l’écran de l’ordinateur, c’est un fichier classique, mais une fonction permet de lire son contenu et de le reproduire sur une plage tactile (une ligne de braille éphémère, NDLR). Les petits picots forment des lettres et donc des phrases. Les personnes aveugles glissent leurs doigts sur cette ligne de braille, dès qu’ils sont au bout de la ligne, la plage reproduit la ligne suivante.
Jean Frontin, non-voyant et vice-président du CTEB se félicite de l’évolution du braille ses dernières années : « Avant, les livres en braille étaient faits à la main. Chaque planchette était perforée avec un poinçon. Autrement dit, il n’y en avait pas beaucoup. Aujourd’hui, je peux avoir un livre bien plus rapidement qu’avant ! Par exemple, celui-ci a été édité en 1983 et en braille en 1995. » Equipé d’une plage tactile, il peut lire les fichiers et naviguer sur internet. « L’inconvénient, c’est que c’est une lecture ligne par ligne. Il n’y a donc pas de repères comme dans un livre papier. De plus, même si c’est une obligation légale de rendre son site internet accessible, ils sont peu nombreux », constate-t-il. Correcteur bénévole pour le CTEB, le braille est essentiel pour lui. « Sans lui on ne connaît pas l’orthographe », dit-il.
Claude Griet, sa femme et également professeur de braille à l’institut des jeunes aveugles de Toulouse, est du même avis. « On ne peut pas travailler qu’oralement. Quand on fait des études, on a besoin de papier« , souligne-t-elle. Et de conclure : « Ne pas permettre aux aveugles d’apprendre le braille, c’est comme ne pas apprendre à lire et à écrire. C’est les rendre plus dépendants et moins autonomes pour leur vie future. Je pense qu’il y a une tendance à dire “on apprend moins le braille”, car ça coûte cher de le faire, mais c’est indispensable pour étudier et travailler »
Un reportage réalisé par Chams Iaz
Pour aller plus loin
Apprenez l’alphabet en braille :
« On ne compte pas les points, on reconnaît la forme qu’il y a sous nos doigts. C’est intuitif. Vous, quand vous ouvrez un bouquin, vous embrassez toute la page d’un seul coup d’oeil. Nous, avec la main, il faut qu’on découvre la page en entier », Jean Frontin.
Découvrez l’histoire du braille :