Quatre « a » dans le mot. Car le terme « migrants » ne ère pas à sens unique. Dans cette pièce, adaptée de l’oeuvre de Matei Vișniec, plusieurs facettes de notre société sont présentées face au débat que soulèvent les immigrés. Un texte à l’humour ravageur, parfois caricatural d’une humanité qui va mal.. ou qui n’est plus. Des écrits bruts, qui retracent de manière authentique la tragédie de l’exil.
Une entrée en scène forte. Sur fond sombre, avec des sons gravse, des « migrants », mis en lumière, fuient à travers l’estrade. Des coups de feu, l’instant se ralentit : la dure réalité, exposée dès les premiers instants. Dans la pièce, on saute d’un tableau à un autre. Tantôt sur un bateau dirigé par une passeur. L’instant d’après, dans le bureau d’un président, totalement déboussolé par la problématique de l’immigration. Changement de décor, des publicitaires apparaissent, avides des dernières technologies à la mode… et ainsi de suite.
Les dialogues se suivent et se complètent, d’un cadre à un autre. Dans ce texte, Matei Vișniec (adapté par Bruno Abadie), nous offre une vision globale sur la situation des migrants, de nos jours. Pas seulement du point de vue de ces derniers, mais aussi des Occidentaux.
Entre dérision et gravité, des scènes légères souhaitées au travers de l’interprétation, mais qui n’en sont pas moins lourdes de sens. Aux passages absurdes des vendeurs de détecteurs d’intrus, ou des hôtesses « british » du salon du barbelé… Voilà une première facette de la société qui est pointée du doigt. Pendant ce temps, un bras droit politique, crapuleux, conseille la manipulation des organes de presse en la défaveur des immigrés. Plus tard, on fait face à un jeune migrant, obligé de vendre un rein ou une cornée pour pouvoir survivre… car aujourd’hui « tout s’achète et tout se vend« . Sur un bateau, une chef-passeur qui fait ça pour « les gens nés dans la partie la plus mal foutue de ce monde mal foutu« … mais qui n’hésitera pas à faire balancer des passagers par-dessus bord car « On est trop nombreux sur ce putain de bateau !« … Des épisodes qui s’enchaînent rapidement, pourtant représentatifs d’une vérité déconcertante.
Des sons et des lumières qui ajoutent le suspens, et la gravité de ces instants de vie compliqués. Une réalité pesante, un trait grossi, mais pas moins avéré, qui opprime les gens nés, ou pas, sur la bonne partie du globe.
« Nous sommes tous dans le même bateau« . Clap de fin. Succès fulgurant. Une caricature de la société face aux « Migraaaants »… mais qui, au final, ne l’est pas tant que ça.
Entretien « Trois questions » à Bruno Abadie, metteur en scène pour la Compagnie du petit matin.
Le 24 heures : Bruno, vous avez découvert ce texte lors du Festival d’Avignon, il y a un an et demi. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter l’oeuvre de Matei Vișniec ?
Bruno Abadie : Je travaille autour de cet auteur depuis près de 15 ans. J’avais déjà adapté un recueil et monté deux spectacles. Un de ces deux spectacle à Avignon notamment, et j’ai rencontré l’auteur là-bas. On a sympathisé, il a aimé mon travail. On se suit, depuis. Il y a un an et demi, donc, j’ai découvert ce texte. Et c’est un texte que j’attendais énormément autour de cette thématique. J’ai trouvé cela juste puissant, implacable. J’ai alors demandé l’autorisation pour adapter cette pièce. Pour moi, c’était vraiment une évidence d’adapter ce texte.
L24H : Pour l’aspect de la mise en scène, comment expliquez-vous vos choix de représentation ?
B.A : Déjà, nous sommes quatre comédiens sur cette pièce, et ce pour plusieurs raisons. J’avais envie de travailler avec des gens avec qui je me sens bien. Ce sont aussi des personnes qui ont été touchées par le travail de Matei Vișniec. Des gens qui avaient le profil, ainsi que la capacité de pouvoir endosser plusieurs peronnages. Il y a d’excellents comédiens qui ne sont pas capables de cette urgence. Après, dans le recueil, il y a une trentaine de personnages, nous en avons gardé seulement 10-12. La contrainte était là pour les comédiens. Mais ce sont aussi des rencontres humaines, artistiques, et j’ai une histoire différente avec chacun d’entre eux. La distribution a été décidée il y a déjà plus d’un an. En ce qui concerne le son et la lumière, tout est lié. La musique a été créée spécialement pour le spectacle. En revanche, j’ai imaginé les chorégraphies avant que la musique n’existe. Il fallait imaginer le parcours, tout s’est fait au fur et à mesure. Mais la musique est essentielle, elle appuie le propos, elle est riche.
L24H : Avec « Migraaaants » vous touchez à un sujet qui est encore délicat dans le débat aujourd’hui dans notre société. Dans l’adaptation de la pièce, qui est relativement engagée, est-ce que ça donne un enjeu supplémentaire, par rapport à une pièce qui serait issue d’un autre registre ?
B.A : C’est compliqué dès l’instant où l’on aborde un thème d’actualité. On allume la radio, la télé et on entend parler des migrants. Mais depuis la nuit des temps il y a des demandeurs d’asile, des réfugiés, des migrants. Donc bien sûr, on marche sur des oeufs, et il fallait aussi faire attention à ne pas tomber dans le pathos. J’avais déjà traité le sujet en 2007 dans un autre spectacle. Je ne voulais pas de gratuité. Je souhaitais beaucoup de sobriété. Essayer d’amener une certaine légèreté à la mise en scène, que ce ne soit pas trop sombre non plus. Mais oui, cela fait partie des sujets très délicats à aborder.