Sarah* à un compte sur MYM depuis quelques mois. Elle y poste des photos d’elle, en tenue légère et des vidéos dans lesquelles elle danse en lingerie, le tout sous un pseudonyme. Elle a 17 ans. Le site internet est interdit aux mineurs. Lycéenne en année de terminale la journée, la nuit, elle monétise son corps sur cette plateforme.
Consciente que son inscription sur ce site est illégale, dû à son âge, la jeune fille se sent pourtant responsable : “Je connais mes limites et je postais déjà des photos un peu sexy sur mon Instagram avant, alors autant les rendre payantes pour en profiter”, indique-t-elle. Bien qu’encore mineure, Sarah vit seule dans son appartement depuis un an. À ses 16 ans et demi, elle a pu bénéficier d’une mesure d’émancipation, sous décision d’un juge, ayant des problèmes avec ses parents. Elle n’est donc plus sous l’autorité de ces derniers.
Encore étudiante, elle a un job étudiant le week-end et bénéficie d’aides de l’État pour subvenir à ses besoins tel que son loyer. Mais pour la jeune fille, ce n’était pas assez. “Produire du contenu sur MYM me permet d’avoir de l’argent pour moi, par exemple pour m’acheter des habits, pour aller boire un verre ou même pour partir en vacances, c’est mes petites économies”, raconte Sarah. En effet, pour accéder à son contenu, il faut payer, le prix variant entre 5 et 30 euros. “C’est moi qui fixe les tarifs, plus la photo est osée, plus j’augmente le prix”, explique la jeune fille.
Un réseau social 2.0
MYM (Me You More) a été créé en 2019 en France, plus précisément à Lyon. Cette application fonctionne comme OnlyFans, développé en Grande-Bretagne en 2016 mais disponible en France. Une des particularités : la possibilité d’envoyer des demandes privées aux influenceurs afin de recevoir des contenus personnalisés. “Je reçois régulièrement des demandes privées”, souligne Sarah. “En fonction de ce qu’on me demande, je peux décider de le faire ou non”. Son dernier message privé par exemple provient d’un utilisateur qui lui demande de faire une vidéo dans laquelle elle danse en sous-vêtements. Sollicitation que la jeune femme accepte. “Je refuse de faire tout ce qui est nu et aussi de montrer mon visage, ou alors de parler dans mes vidéos”, affirme la jeune femme.
Depuis quelques temps, les lives sont arrivés sur MYM. Une nouvelle fonctionnalité très utilisée par les influenceurs qui peuvent eux-mêmes décider du prix à payer pour visionner leur live. Sarah n’en fait pas encore mais “compte s’y mettre”.
Passion Economy
Le modèle économique de MYM et OnlyFans ne fonctionne pas comme sur les réseaux dit plus classiques (Instagram par exemple). Sur ces derniers, les influenceurs sont rémunérés par la publicité, les placements de produits, les annonceurs. Mais leur contenu est gratuit et accessible à tous. Les créateurs de MYM ont voulu changer et passer à la “passion economy”. Selon eux, Facebook et Instagram conservent 80% des revenus générés par les créateurs. Ils ont alors voulu renverser la tendance en proposant un réseau social qui reverse ses 80% aux créateurs de contenu. D’où le fonctionnement payant de MYM.
Une tournure imprévue
Poster des contenus érotiques sur MYM n’était pas le but initial. En s’inscrivant sur l’application, il s’agissait simplement d’accéder à des photos et vidéos authentiques, non disponibles sur les réseaux gratuits comme Instagram ou Snapchat. Les utilisateurs étaient également attirés par le fait qu’ils puissent faire des demandes privées à leurs influenceurs préférés.
Cependant, de part ce contenu payant et privé, les utilisateurs s’en servent de plus en plus pour y publier du contenu érotique, voire qualifié de “pornographique”.
Interdites aux moins de 18 ans, beaucoup de mineurs sont pourtant présents sur ces applications. “La plupart des gens de mon âge consomment du contenu, mais certains, comme moi en poste”, précise Sarah. À la création d’un compte, il suffit simplement de cocher une case pour dire que vous êtes majeur, aucune vérification n’est obligatoire.
Passer inaperçu
Sarah partage des photos et des vidéos sur son MYM via un pseudo qui la rend anonyme. À l’heure où les jeunes font attention à leur image, Sarah ne souhaite pas être reconnue par des élèves de son lycée. “Mes amies très proches sont au courant que je suis sur cette appli, mais je ne veux pas que ça se sache”, explique-t-elle. La jeune fille a peur d’avoir une “réputation d’actrice porno”, bien qu’elle indique que “ce n’est pas ce qu’elle fait sur MYM”. “Ça me plait aussi de pouvoir avoir l’air de la lycéenne sérieuse qui révise son BAC, et d’avoir cette activité en rentrant chez moi le soir”, sourit-elle. Plus tard, Sarah voudrait devenir mannequin, notamment pour des marques de lingerie. Bien que son activité sur MYM soit une source de revenus, c’est aussi quelque chose qu’elle aime faire. De la mise en scène, au maquillage, jusqu’au rendu final, Sarah s’est passionnée par la photo. Dans quatre mois, elle aura 18 ans. “J’ai hâte d’être majeure pour m’assumer pleinement et pouvoir être fière de mon travail, ne plus me cacher”, dit Sarah, l’air rêveuse.
Exposition de la féminité
Sarah considère la plupart de ses photos postées sur MYM comme artistiques. Dans son appartement, on trouve un coin “photo”. Un drap noir tendu, un fauteuil bleu devant et son appareil photo sur un grand trépied. Quand elle prend la pose, tout est pensé. “Je veux aussi représenter la féminité, les photos quasiment nue ne veulent pas forcément dire qu’elles sont pornographiques”, affirme-t-elle. Elle passe parfois de longues minutes devant son miroir à se maquiller, pas seulement le visage. Elle s’applique du fond de teint sur les bras pour “éliminer les imperfections”. Son secret ? Sa brume pailletée qu’elle applique sur son corps avant un shooting. “On dit aux femmes de ne pas mettre de jupe trop courte, un téton qui pointe dérange, et c’est les mêmes qui payent pour mes photos”, rit la jeune fille.
Dangereux ou bienveillants ?
Ces réseaux sociaux ont souvent fait polémique. Durant le confinement, une vidéo a été publié sur Twitter dans laquelle on voit un couple se disputer car le conjoint apprend que sa femme a un compte MYM. S’en est suivi une vague de haine et d’insultes envers cette dernière, par exemple : “C’est donc ça les mères de demain?”. Des critiques qui renvoient la femme à son rôle de mère et de petite amie.
De plus, les réticents de MYM et Onlyfans associent les pratiques qu’ils hébergent à une nouvelle forme de prostitution, virtuelle et basée sur des photos. Sarah y répond : “La prostitution est associée à une pratique sexuelle contre de l’argent, ce n’est pas ce que je fais”. La jeune femme indique qu’elle vend seulement des images, comme un “photographe lambda pourrait le faire”.
Sarah ajoute : « Pour moi c’est un réseau social très bienveillant, sûrement de part le fait que pour accéder à du contenu, il faut payer”.
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* Nom d’emprunt