Pianiste à la carrière riche en expériences, Aymeric voit sa vie basculer en 2015. A la suite d’un décollement de la rétine aux deux yeux, il devient malvoyant. Son quotidien doit alors être adapté pour vivre le plus normalement possible. Un combat que l’homme tente de mener avec le sourire.
Les notes résonnent dans le grand séjour. Tantôt puissantes et intenses, tantôt douces et délicates. C’est du Chopin. Le piano à queue verni de noir est imposant et prestigieux, on lui reconnaît ses qualités à son nom : Pleyel.
Derrière l’instrument, Aymeric, un homme de 47 ans, simplement vêtu, fait le show. Quand le morceau prend fin, le pianiste se lève et se déplace avec précaution, une main devant lui. Aymeric est malvoyant depuis 5 ans. A le voir circuler chez-lui, on ne le croirait pas handicapé. Seules ses lunettes aux verres épais, et son regard parfois perdu, le trahissent. « Si je ne porte pas de lunettes noires et de canne, les gens ne le savent pas, ils croient que je suis bourré », plaisante-t-il. Le pianiste ne manque pas d’humour, malgré une vie pleine de péripéties.
Un parcours fait de rebondissements
Assis autour d’une table, Aymeric se rappelle son histoire avec nostalgie. Son talent se révèle dès lors qu’il découvre le piano, à l’âge de sept ans. Continuer dans la musique devient une évidence, il entre donc au conservatoire national supérieur de musique de Paris.
Lors de son parcours, Aymeric rencontre Alice Dona, qui l’intègre dans son école en tant qu’étudiant, puis professeur. Les studios Alice Dona lui donnent la possibilité de rencontrer des artistes comme Gilbert Montagné, Jean Jacques Goldman ou encore son idole, William Sheller. Ce dernier lui offre l’opportunité de sa vie : faire la première partie de son spectacle à l’Olympia.
Dans les années 2000, le pianiste décide de monter sa boîte de production. Ayant du mal à en vivre, il met sa société en sommeil quatre ans plus tard. Aymeric quitte Paris en 2008 pour élever son premier enfant et se rend à Dax, dans les Landes. Il décroche alors plusieurs contrats en tant que professeur de piano dans des conservatoires du département.
En septembre 2015, son quotidien est bouleversé. Aymeric voit comme des papillons dans son œil droit. Atteint de myopie, il décide de se rendre chez son ophtalmologue. « On m’a dit que je faisais un décollement de la rétine, donc opération en urgence », explique-t-il. Une opération vaine, puisqu’il récidive.
Les silences deviennent pesants dans le salon du pianiste. Aymeric semble revivre la douleur qu’il a vécu autrefois. Celle qui lui prenait tout le crâne et l’empêchait de dormir des jours durant. « C’était l’enfer, j’ai cru que j’allais me suicider ». Avec le temps, sa souffrance disparaît, tout comme sa vue.
Aymeric poursuit avec autodérision : « Quand tu perds un œil, tu as toujours l’autre, c’est un peu chiant mais tu t’adaptes facilement ». Cependant, six mois après, c’est cette fois-ci son œil gauche qui est troublé par une sorte de rideau de mouches. « J’ai compris directement, seulement là, tu sais que tu n’as pas de troisième œil ». Cela arrive alors que sa femme Aude va accoucher de son troisième enfant. Malgré de multiples opérations, il n’a désormais qu’une vision limitée. « J’ai accueilli mon garçon dans le noir », confie le père de famille.
Une lutte pour être « normal »
Les trois plus grandes réussites d’Aymeric, ce sont ses enfants. Même s’il ne peut plus les contempler, il est fier de montrer les photos de sa famille, qui sont accrochées au mur. Cet amour pour ses garçons, c’est ce qui le pousse à ne pas se renfermer sur lui-même. « Après ça, tu t’isoles toi-même, parce que tu ne veux pas montrer ton handicap, tu as honte et te sens vulnérable,
mais j’avais déjà deux enfants et un troisième venait d’arriver. Il ne fallait surtout pas que je leur montre que je n’étais pas apte à m’en occuper. »
Alors Aymeric, aidé par la PCH (prestation de compensation du handicap), ré-apprend à faire la cuisine, à utiliser de nouvelles applications et aménage sa maison pour mieux se repérer. Il s’entraîne même à faire des
dizaines d’allers-retours à la crèche avec sa canne afin de pouvoir ensuite y emmener son plus jeune fils en poussette. Des efforts pour être un père comme les autres, même s’il « a les yeux cassés », comme il l’explique à ses enfants.
Pour atteindre ses objectifs, Aude a été un véritable moteur. « Tu m’as toujours amené dans des endroits que je ne connaissais pas, je n’avais
pas le choix ! Rigole-t-il en s’adressant à elle. Je t’en voulais mais en même temps, c’est ce qui m’a poussé ». La méthode d’Aude, c’est aussi de tourner
en dérision le handicap de son mari. « Quand il faisait une opération, il ne voyait rien, alors je disais aux enfants que c’était le moment de jouer à cache-cache avec leur papa ». Le couple rie en cœur, au milieu du séjour. « De toute façon, quoi qu’on y fasse, la situation restera la même, donc autant en rire », conclut Aude.
Si le couple en rit, cela ne signifie pas pour autant que tout est facile. Professionnellement parlant, le handicap d’Aymeric a d’abord été un frein. Quand il a perdu la vue, deux écoles de musique n’ont pas renouvelé son contrat.
Cela malgré l’intervention d’Alain Bonte, directeur du conservatoire des Landes, seul employeur à l’avoir soutenu. Aidé par la PCH, il met en place un taxi pour les trajets du professeur et du matériel spécifique. Le directeur craignait seulement les réactions des parents et des élèves. « Au final, ça s’est très bien passé, quand il est revenu ça a été un soulagement pour tout le monde ».
En parallèle, Aymeric est embauché au conservatoire de Dax. Sa carrière semble donc loin d’être finie. Comme l’a spécifié Alain Bonte, après tout, plein de pianistes sont aveugles ou sourds. Peut- être qu’Aymeric relancera sa boîte de production ? S’il n’y croit pas, sa femme elle, n’exclut pas cette possibilité : « Il y a tellement eu de rebondissements dans sa vie, alors pourquoi pas ! ».