Racisme : récit d’une jeunesse à la campagne

À 22 ans, Saïd vit depuis toujours à la campagne. Ce jeune Français métissé (une mère tunisienne et un père algérien) témoigne du racisme dont il a été la cible à l’adolescence.

À 22 ans, Saïd vit depuis toujours à la campagne. Ce jeune Français métissé (une mère tunisienne et un père algérien) témoigne du racisme dont il a été la cible à l’adolescence.

Les premiers jugements et regards douteux dont Saïd se souvient remontent à ses 13 ans. À l’époque, il pose ses bagages dans un nouveau village, après un énième déménagement entre plusieurs villages situés au sud du département de la Haute-Garonne. La famille emménage donc à Rieux-Volvestre, petite commune de 2 500 habitants, où elle résidera jusqu’en 2018. Neuf années durant lesquelles le cadet de la famille a découvert son identité en faisant face aux regards agressifs ou encore aux accusations mensongères. Avec du recul, il comprend désormais qu’il était victime d’une différence de traitement à cause de son origine.

Une gueule d’Arabe pointée du doigt

Dans le village, les jeunes avec qui il passe son temps libre sont les premiers à lui faire remarquer sa différence en employant sous couvert d’humour, des termes comme « bougnoul », « le gris » ou « voyou ». « Je m’entendais super-bien avec eux. C’est pas des inconnus qui disaient ça, c’est des anciens amis. Avec du recul, ça me fait chier ». Mais les collégiens ont pour habitude de se parler mal entre eux. Alors ni lui, ni sa sœur Lina ne se sont doutés que les remarques qui le visaient n’étaient que le début d’une adolescence perturbée par des doigts pointés sur lui… et sa gueule d’Arabe.

« En attendant mes enfants devant l’école, je voyais
bien comment les gens les regardaient. Cette manière de regarder suffisait, il n’y avait pas besoin de mots.
 »

Houria, la mère de Saïd.

La mère de Saïd, qui est née et a vécu à Marseille avant de quitter la cité phocéenne à 20 ans, ne s’est pas vraiment inquiétée des problèmes de racisme auxquels pourraient être confrontés ses enfants : « j’avais plus peur qu’ils y soient confrontés en ville qu’à la campagne. C’est d’ailleurs pour ça que je les ai éduqués ici » confie-t-elle. Si elle ne regrette pas son choix, elle dit avec amertume avoir été peut-être trop positive : « je ne pensais pas qu’il y aurait du racisme à la campagne à l’époque. Mais en fait si ».

En plus des blagues déplacées et des regards prononcés, Saïd dit avoir fait face à de nombreux contrôles de police entre ses 14 et ses 18 ans et à des accusations non fondées de la part de son entourage. Sa sœur raconte : « Pendant une fête, des personnes présentes ont commencé à accuser mon frère d’avoir ramené de la drogue, sans fondement. Donc j’ai pris sa défense et on m’a répondu “tu n’es pas chez toi ici” ». Un sous-entendu qui peut parfois virer au drame, comme en 2017. Saïd est agressé par plusieurs hommes, « des mecs de 35/40 ans me sont tombés dessus parce que j’étais Arabe. Ça, c’est un souvenir marquant. On s’en est pris clairement à moi pour ça. On m’a taillé le visage et ils ont mis un coup de couteau à mon pote ». Un acte qui leur aura valu un passage à l’hôpital. Les agresseurs ont été condamnés depuis.

« Je vivais ça très mal, la période des sorties » confie-t-il, « les boîtes de nuits et les fêtes de village, c’était jamais trop bien. Les gens me regardaient et se demandaient ce que je faisais là ». Lina reprend la parole : « Je l’ai toujours plus ressenti à travers mon frère [le racisme]. En plus, il était jeune et il faisait des bêtises comme tous les jeunes de son âge, mais c’était toujours lui qu’on pointait du doigt ou qu’on ne laissait pas entrer en boîte de nuit ». Selon elle, le fait que Saïd soit un garçon, qu’il soit mat de peau et qu’il s’habille en « jogging basket », « ça ramène à un cliché du mec de quartier ». Des clichés dont souffriraient davantage les garçons que les filles pendant l’adolescence. « “Voyou”, “racaille”, ça évoque toute ma jeunesse. “Racaille” c’est un mot que je ne supporte plus […] Mes sœurs n’ont pas fait face au même racisme que moi » confirme-t-il (Lucie, la plus grande des trois frères et sœurs, et Lina sont souvent prises pour des Antillaises).

Avec le temps, le petit frère de la famille s’est éloigné de certaines personnes, il s’est « un peu renfermé ». Il explique aussi que cela a pu conduire parfois à des moments de paranoïa. À voir du racisme partout, à se sentir observé. D’après lui, « ça aurait été beaucoup plus simple de vivre en ville. Les gens y sont plus ouverts. On y voit plus de mecs comme moi ».

Une intégration plus facile en ville ?

Loin de considérer que les habitants de la campagne sont tous racistes, ils notent néanmoins que le racisme s’exprimerait plus facilement en périphérie des villes puisque « tout le monde se connaît et se parle ». D’ailleurs, ils affirment s’être infligé une forme de pression sociale. En effet, avec une mère qui ne travaille plus à cause de soucis de santé, un père algérien vivant à distance, des difficultés financières et leur peau mate, les enfants ont dû faire face à un cliché qui leur colle aux baskets. « C’est vrai que j’avais ce souci d’avoir une bonne image et d’être intégrée socialement, [besoin] que Saïd avait moins », souffle Lina. Alors quand ils repensent à ces neuf années, la réaction est immédiate. « Ça a été long », poursuit-elle, pensive. « Mais on se portait de l’affection quand même puisqu’on passait du temps ensemble » finit-elle. « On s’est éloignés d’eux en grandissant », complète Mehdi.

Pour autant, c’est bien dans leur campagne qu’ils ont noué leurs plus grandes amitiés, celles d’une vie. Saïd, Lina et Houria gardent espoir que la situation s’améliore dans quelques années avec le retour à la campagne des jeunes partis étudier dans les grandes villes. Ils le constatent même déjà.

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