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Isolement des personnes âgées en Occitanie : un fléau silencieux

Violette assise dans son salon

Il fait encore chaud pour un mois d’octobre, alors la nonagénaire en profite pour être dans son jardin. “Je vais avoir 94 ans, je fais les choses lentement maintenant. J’ai mes occupations, je tricote l’hiver et j’arrose mes fleurs l’été. Enfin, je me sens seule parfois. Surtout pendant les fêtes”, explique Violette. Elle ne jardine pas, mais elle profite du soleil, pour égayer ses journées. “Vous voyez cet arbre, il faudrait normalement qu’il fleurisse pour Noel. Les feuilles sont déjà tombées.” 

Il faut bien s’occuper quand on vit seule depuis plusieurs années déjà. “Mon mari n’est plus là. Un cancer l’a emporté à 67 ans”, ses yeux se baissent, elle s’arrête de parler et reprend : “Mais regardez, j’ai la santé. Je peux cuisiner et j’accueille mes enfants et petits-enfants quand ils me rendent visite. Ah, mais je ne supporte pas quand ils sont derrière moi. Je n’avance pas.” Violette habite à Montfort, un village dans le Gers. Aujourd’hui, elle reçoit un peintre, une de ces seules visites de la semaine. Dans le village, elle connaît tout le monde et est au courant de la moindre histoire : 

– “Vous connaissez le restaurant de la halle ? C’est ma nièce qui le tient.

Les cloches de l’église retentissent.

– On a plus le club du troisième âge et puis surtout, il nous manque la messe à l’église tous les dimanches.”

Enfin, ce n’est pas ce qui la préoccupe le plus. La solitude pour elle, ce n’est qu’un simple tracas, surtout quand elles pensent aux personnes qui sont malades et seules chez elles. Le soleil traverse à peine le salon de Violette, quand elle raconte son enfance et les souvenirs qu’elle a gardé avec ses parents : “Maman avait beaucoup d’arthrose, elle tombait comme la pluie.”

L’isolement des personnes âgées est un réel problème, surtout quand ce phénomène peut être accentué dans les milieux ruraux. Des dispositifs sont mis en place comme des taxis entre les communes : “Si j’ai un rendez-vous, je peux me déplacer avec le taxi de la commune. Quatre euros un aller-retour, et je peux aller chez l’ophtalmo et faire mes courses”, ajoute Violette.  À un certain âge, il est aussi impossible de se déplacer par perte d’autonomie ou à cause de problèmes de santé : “J’ai vendu ma voiture hier, car je ne suis plus en capacité avec mes problèmes de vue”, explique la nonagénaire. 

Du côté de Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, l’ADMR (aide à domicile en milieu rural) de l’Isle-en-Dodon, se déplace dans plusieurs villages pour accompagner les personnes âgées. “Certaines habitations sont dans des lieux-dits, donc ils se retrouvent éloignés”, explique Conchi Bettiol, vice-présidente de l’ADMR d’ Aspet. Dans cette commune, l’association compte 36 employés aides à domicile, 13 auxiliaires de vie et 6 bénévoles. Une fois tous les deux jours, les bénéficiaires ont une visite à domicile pour s’assurer de leurs besoins. “On travaille avec les aides-soignants, qui s’occupent de la partie médicale. Nous, on ne peut pas s’en occuper”, ajoute-t-elle. Ce contact, apporté par les employés et les bénévoles, est parfois la seule chance pour ces personnes âgées de garder le sourire. L’isolement est indépendant des personnes, car elles se retrouvent incapables de se déplacer :

“Nous avons eu le cas de deux mamies, qui habitaient à côté, mais à cause de leur incapacité à pouvoir bouger, elles ne se voyaient plus”, assure Conchi.

Des sorties sont organisées, comme des repas aux restaurants, pour maintenir le lien social. Des initiatives personnelles sont même proposées aux bénéficiaires pour affronter cet isolement. Les causes peuvent être diverses. On peut compter également, un problème d’habitat, où l’individu n’est pas en capacité de vieillir car la maison est à étage ou encore ne possède qu’une baignoire. Pour remédier à cette problématique, les bénévoles d’associations comme Les Petits Frères des Pauvres, sont sollicités pour venir en aide aux personnes âgées isolées. Cette association est implantée sur la région de l’Occitanie et assure le bien-être des personnes âgées. Leurs actions sont diverses et permettent de créer du lien, de discuter, d’écouter et de comprendre la personne. Celina Sampédro, directrice régionale adjointe des Petits Frères des Pauvres en Occitanie, explique : “Nous avons eu le cas de Lydie, qui habitait dans un appartement qu’elle ne pouvait pas chauffer et qui n’était plus accessible pour elle. Un bailleur social a permis de faire le lien avec notre association et de l’orienter pour trouver un autre logement.”

Plus de 40 équipes sont mobilisés, comptant des étudiants, des retraités ou encore des personnes en activité qui sont en charge de plusieurs séniors. Les bénévoles organisent des sorties collectives, préparent des activités individuelles, pour assurer un lien social entre les individus. La directrice régionale ajoute : “On s’assure que la personne vit bien et qu’elle continue à voir d’autres personnes. Je me souviens d’un goûter organisé en été avec plusieurs séniors. Ils ont gardé contact et ils parlent encore aujourd’hui de ce moment passé ensemble.” 

Marcel, les bras croisés attend patiemment son tour. 

– ”C’est à lui ?, demande Christine

– Oui, mais il n’a pas démarré encore, répond le voisin de table de Marcel

– Marcel, le 12, oui, celui-là, prends-le.

Tout le monde est concentré autour de la table, pour gagner ses adversaires.

– Bon, je vais mettre le café en route, puisque Jean-Luc n’est pas arrivé, termine Christine avant de sortir de la pièce. 

Dans cette salle aux murs verts d’eau, les aînés jouent dans le calme à un jeu de société. Aujourd’hui, il fait froid, c’est un samedi après-midi pluvieux. Tout le monde a gardé sa veste, car la pièce n’est pas encore chauffée pour un mois d’octobre. L’association VIVAE organise cet accueil de groupe chaque semaine. Christine, Evelyne et Jean-Luc, sont chargés de l’organisation. Toutes les semaines des activités variées sont mises en place. “N’oubliez pas samedi on va décorer des citrouilles pour s’amuser ! On pourra même les peindre !”, s’exclame Christine. Tous les mois des ateliers, des sorties et des repas sont aménagés par les bénévoles, pour offrir à des personnes isolées, la possibilité de pouvoir sortir de chez elles. Ces moments de joie et de partage sont très appréciés.

La responsable de l’association, raconte avec émotion certaines situations qui illustrent l’impact dévastateur de la solitude prolongée sur les personnes âgées. « On a accueilli un homme qui avait tellement perdu l’habitude des interactions, qu’il faisait des crises d’angoisse dès qu’il se retrouvait avec plus de quatre personnes autour de lui », confie-t-elle. Cet homme, qui autrefois menait une vie sociale active, s’est progressivement replié sur lui-même. Au fil des années, les amis se sont faits rares, la famille éloignée, et la solitude est devenue sa compagne quotidienne.

Elle raconte aussi le cas d’une autre personne dont l’hygiène s’est soudainement dégradée. Du jour au lendemain, cette dame a cessé de prendre soin d’elle-même, ne se douchant plus, ne changeant plus de vêtements. « Son odeur était tellement marquante… On voyait bien qu’elle n’avait plus d’énergie, plus d’envie de s’occuper d’elle-même, » partage Christine.

Cette négligence de l’hygiène personnelle est un signe alarmant, souvent indicatif d’une dépression profonde. La perte d’intérêt pour le bien-être personnel est une des manifestations extrêmes de l’isolement et de la solitude. À travers ces témoignages, Christine met en lumière l’ampleur des difficultés que rencontrent les personnes âgées seules. L’isolement ne se limite pas au silence des journées sans visite, il affecte aussi la dignité et la santé mentale.

De l’extérieur, on pourrait penser à un mini-immeuble où réside tout type de personnes. Mais à l’intérieur, déambulateurs et fauteuils roulants sont présents dans la pièce commune. Deux hommes, un sur le canapé et l’autre sur une chaise attendent patiemment l’infirmière. Alors qu’une troisième résidente entre dans la pièce, elle décide de partir sur la terrasse pour profiter du soleil. Cette maison, sur un étage, rassemble un espace commun comprenant une cuisine, un salon et une terrasse. Un peu plus loin dans le couloir, on aperçoit plusieurs portes qui se font face, ce sont les chambres des résidents.

Cette initiative a été mise en place par Domani. Cette maison partagée accueille seulement des personnes âgées. C’est une colocation proposée pour éviter de rompre le contact social dès un certain âge. Pour être résident dans cet habitat, une grille permettant d’évaluer la perte d’autonomie des personnes est renseignée au préalable. On parle de GIR (groupe iso-ressources) qui est calculé à l’aide d’une grille allant du GIR 1, le niveau de perte d’autonomie le plus fort au GIR 6 le plus faible. De 8 heures à 20 heures, une présence est assurée avec également des veilleurs de nuit qui habitent à 5 minutes du logement. 

“Nous avons 16 habitants au total, ils ont tous plus de soixante ans. Selon la grille GIR ils sont entre le niveau 3 et 5. Les profils sont tous différents, il y autant d’hommes que de femmes”, explique la responsable d’habitat inclusif en équipe autonome. Les résidents peuvent se retrouver pour partager des repas, discuter, ou simplement profiter d’un moment ensemble dans la pièce commune.  “Tous les habitants bénéficient d’une chambre de 30 mètres carré avec une salle de bain”, ajoute-t-elle. Ce modèle leur permet de garder leur autonomie tout en bénéficiant de la sécurité et du réconfort d’une présence constante. 

Au cœur du Mirail à Toulouse, une épicerie lutte contre ce fléau silencieux. Depuis les années 90, cette épicerie joue un rôle crucial dans la vie de centaines de personnes en difficulté, et plus particulièrement des personnes âgées. Aujourd’hui, elle accueille plus de 200 bénéficiaires réguliers, souvent isolés et en proie à de réelles difficultés financières.

  • Rencontre avec la directrice de l’épicerie solidaire : Hélène Starck.

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