
Urbex : A la recherche de l’art
Clandestin, frisson et monde à part, ce sont les mots d’ordre de l’Urbex, contraction d’exploration urbaine. Et si l’art s’en mêlait ? Photos, vidéos ont pris le dessus afin de remplacer l’horreur par la beauté. Rendre hommage à ce patrimoine oublié français, c’est l’objectif de Guillaume Daudin et Julien Sohier.
Trépied, caméra et lumière, Guillaume Daudin s’active pour rentrer tout le matériel dans son sac. Il vérifie une dernière fois que les batteries sont chargées, embrasse son compagnon à quatre pattes et ferme son sac lourdement chargé. C’est en cette belle après-midi d’automne que le jeune explorateur charge ses nombreuses affaires dans sa voiture. Le sourire aux lèvres, il démarre pour se rendre sur le lieu de son urbex en Haute-Garonne dans un petit village près de Tarbes.
Au fur et à mesure du trajet, le brouhaha de la ville s’estompe pour laisser place au calme de la campagne, où les animaux n’ont pas peur de traverser les routes. Les forêts reflètent les couleurs de l’automne, les feuilles tombent sur le bas-côté. C’est sur les petites routes entourée de champs à perte de vue que la voiture de Guillaume continue sa route. La destination est proche, un bout de la tour du château est enfin visible derrière de grands chênes. Après une heure et quart de route, l’exploration peut enfin commencer. Il jette un dernier coup d’œil avant de franchir le portail d’un immense château du XIVème siècle d’apparence bien conservé.
Il faut contempler de plus près cette bâtisse pour constater que certaines fenêtres sont brisées. Des cascades de lierre tombent le long des murs rendant le lieu encore plus mystérieux. Il faut plusieurs minutes pour contourner cet immense bâtiment et trouver son entrée. Le château est imposant, il rend le village tout petit à côté de lui.

“La photo a pour particularité de pouvoir sauvegarder un instant donné dans un lieu » Guillaume Daudin
Un patrimoine perdu capturé et mis en lumière
C’est en poussant les branches d’un figuier qu’il pénètre dans l’édifice. L’entrée donne sur un large escalier en colimaçon en face d’une grande salle où l’air y est froid et la lumière faible, au sol, de la poussière mélangée à quelques bouts de verre. Une immense cheminée ornée d’une grande sculpture décore la pièce. C’est d’un cavalier sur son cheval avec un sabot en moins. “La dernière fois que je suis venu, la sculpture n’était pas cassée comme maintenant. C’est malheureux de voir ça” s’exclame Guillaume. Les pièces sont généralement vides dans le château.
Le sol craque sous le poids de ses pas. Chaque pièce est équipée d’une cheminée, lorsqu’une porte franchie l’atmosphère change. Certains long couloir sont gorgés d’eau, ce qui rend le passage extrêmement dangereux. Urbexeur depuis 5 ans Guillaume Daudin fait attention où il met les pieds : “Il faut savoir que l’urbex est un activité qui reste assez dangereuse. Ces lieux sont laissés à l’abandon sans aucun entretien. Il est important de faire attention où l’on marche puisque à tout moment le sol peut tomber” explique t-il avec attention.
Le château est immense, il s’étend sur 3 étages en plus d’un sous-sol. Chaque pièce est froide et humide. Certaines parties du château sont entièrement remplies de tags. Guillaume emprunte un escalier en bois qui grince. Soudain le silence qui accompagnait la visite se brisa. Des bruits résonnèrent au rez-de chaussé, il s’immobilisa persuadés d’être seul dans le château. Tout à coup un hurlement retentit, Guillaume sursauta. Il lui faut peu de temps pour comprendre que d’autres passionnée de l’urbex cherchent à l’effrayer. Il explique que le lieu est assez connu des adeptes du frisson.






C’est dans ces lieux frissonnant que Guillaume aime sortir son appareil pour immortaliser ces moments, figés dans l’espace temps. “La photo a pour particularité de pouvoir sauvegarder un instant donné dans un lieu. On ne peut en faire un double ou un triple c’est ce moment-là. On arrive à faire ressentir des émotions à travers l’art en jonglant avec la lumière et les contrastes. Cela révèle l’atmosphère du lieu et l’énergie qu’il y a dedans”, ajoute-t-il.
Hormis la passion de l’image unique, le jeune homme apprécie aussi la vidéo. La caméra à la main, il poste toutes ces aventures sur sa chaîne Youtube. Grâce à son site Internet, il partage ses photos, le poussant à continuer de mener ses explorations.
Son but premier est de redonner vie à ces lieux abandonnés par la photo ou la vidéo. “Au départ, j’avais un carnet où je notais tous les détails de mes explorations : le temps qui passe, la dangerosité des lieux, l’histoire. En racontant les anecdotes à mes amis, ils m’ont dit pourquoi pas en faire un livre” annonce joyeusement Guillaume. Il sort en avril 2024 Urbex Occitanie, un livre qui se compose d’histoire des lieux et de photos. “Le but premier est de faire découvrir au plus grand nombre des lieux abandonnés afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli”, affirme-t-il.
Ces lieux, il ne les trouve pas par hasard. Guillaume suit tout un processus de recherche pour trouver un lieu abandonné qui lui convient. Il utilise google map pour chercher des endroits un peu plus discrets dans la nature. Pour confirmer que ce lieu est abandonné, il enquête dans les archives, regarde des vidéos youtube ou lit les journaux.
Après plusieurs heures d’exploration l’urbex prend fin. Guillaume range l’ensemble de son matériel. Il contourne le grillage pour rejoindre sa voiture. L’appareil photo en main, il regarde tout son contenu émerveillé, “je ne me lasserais jamais de voir tous ces endroits”.







Julien Sohier un urbexeur youtubeur
C’est dans un petit village non loin de Montauban que Julien Sohier a décidé d’explorer. Il lui faut quelque dizaine de minutes avant d’arriver à destination. Les routes sont étroites et peu fréquentées. La nuit est déjà tombée. Un épais brouillard couvre la route. L’ambiance devient assez lugubre. Julien se gare sur le bas-côté, juste à côté d’un bois. Le silence est brisé par des hululements de chouette. Le jeune homme attrape une lampe torche, son téléphone et un stabilisateur pour commencer son exploration.
C’est dans une petite maison au milieu des champs que débute l’exploration. “Cette maison appartenait à un homme qui avait le syndrome de diogène. C’est assez spécial comme lieux puisque c’est comme si la personne était toujours là, avec ses emballages stockés”, raconte Julien. Pendant la visite, l’ambiance est pesante, angoissante. Étriquée dans une maison dont le dernier propriétaire était atteint du syndrome de diogène. Il se caractérise par un trouble du comportement conduisant à des conditions de vie négligée, et pour beaucoup insalubre en accumulant compulsivement tout objet. Jeter devient presque impossible. “Les maisons de ces personnes sont les plus impressionnantes. Mais c’est souvent le plus dangereux, ils peuvent résider hors de leur maison en restant quand même sur leur terrain”, affirme-t-il. Une enquête s’impose alors au préalable auprès de la Mairie de la commune pour vérifier qu’il n’y ait personne.
À l’extérieur deux voitures sont garées ensevelies de mousse. Un frigo, un micro-ondes, ces objets sont tous entassés devant la maison. Il pousse la porte et avertit “Attention où vous mettez les pieds”. L’entrée donne directement à la pièce à vivre. La pièce semble petite face à ces montagnes d’emballages.





Au plafond d’épaisses toiles d’araignées noires rendent le lieu frissonnant. La table est couverte d’une épaisse couche de poussière. Les placards débordent de nourriture en boîte. Le lavabo du coin cuisine est à peine visible sous la pile de vaisselles sales. Dans ce même espace se trouve une cheminée avec en face de celle-ci un fauteuil. Lunettes, livres et même dentiers sont posés à côté.
Julien éclaire la pièce avec sa lampe torche et allume son téléphone pour filmer. Il aime partager sa passion de l’urbex en vidéo sur youtube sous le pseudonyme de Myster Urbex. Il y publie l’ensemble de ses explorations. Il raconte l’histoire de tous ces endroits mais ce qu’il aime par-dessus tout c’est retranscrire les ambiances des lieux à travers la vidéo.
Le bureau est collé à la cuisine. Un lit recouvert de carton encombre l’ouverture de la porte. Sur le sol, des cassettes par centaine et quelques appareils électroniques. Même si Julien à déjà visité ce lieu, il est toujours autant fasciné par celui-ci. Passionné par le cinéma, le jeune homme commence par créer des courts-métrages. Il s’initie petit à petit à l’urbex en cherchant des décors pour ses productions. Julien était séduit par la beauté et l’histoire de tous ces endroits.
Une série de détours pour dénicher les bons endroits
Le jeune homme connaît bien les environs. C’est de cette manière qu’il a découvert cette maison laissée à l’abandon. « Au départ je ne savais pas si la maison était toujours habité. Mais j’ai vu à travers la fenêtre des rideaux de toiles d’araignées », décrit Julien. Pour confirmer ses propos, il se renseigna à la mairie afin d’en savoir plus sur le vécu de cette habitation. Il faudra à Julien plusieurs tentatives avant que le jeune homme trouve le courage de s’y rendre sans la peur d’y trouver quelqu’un.
C’est en multipliant les détours en voiture sur son temps libre qu’il repère les bons “spots”. D’après lui, pour une bonne exploration, il lui faut un endroit riche. “Il faut qu’on voit la rupture entre la vie et l’abandon, que les gens soient partis du jour au lendemain” confirme-t-il. Sur sa chaîne youtube, cette ambiance quasi post-apocalyptique est récurrente.
L’exploration s’achève, Julien regagne sa voiture. L’air est encore plus glacial, le brouillard couvre la route. Il range son matériel soigneusement dans son sac. Le jeune homme termine sa vidéo et coupe sa caméra.
Le kit de l’urbexeur vidéaste
Elina LACOSTE & Elsa Logeart