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L’essor de la seconde main à Toulouse

« On peut réinventer chaque jour le luxe et le banal, la démesure et le commun. »

Marc Lévy

C’est un jour pluvieux à Toulouse, et deux étudiantes traversent le campus IGENSIA. Capuches relevées et chaussures éclaboussées, les gouttes perlent sur leur vestes usées. Toutes deux discutent de leurs vêtements. Ou plutôt, du prochain endroit où elles iront en chercher de nouveaux. Mais contrairement à d’habitude, ce ne sera pas une « virée shopping » habituelle.

– « T’as vu les prix des habits ? Même un simple pull en laine coûte de plus en plus cher. » se désole Noémie. 

– « C’est vrai. Mais on peut essayer d’aller dans une friperie, si tu veux. Tu connais ? » propose Léa en souriant. 

– « Je ne connais pas du tout, s’étonne Noémie. Je crois que j’ai vu une vidéo passer sur Instagram® là-dessus. On peut y aller ensemble ce week-end ? »

– ”Bien sûr ! Tu vas voir, c’est comme une boutique de vêtements, mais c’est moins cher car c’est de la seconde main.”

La seconde main, un domaine en plein essor à Toulouse

Nouvelle mode, la seconde main fait parler d’elle sur les réseaux sociaux. On ne compte plus le nombre de vidéos sur le sujet. “Pendant un temps, on voyait beaucoup de vidéos type “hall : ce que j’ai trouvé en friperie” sur Instagram® ou Tiktok®”, explique Sélène, étudiante de 19 ans. Actuellement en deuxième année d’un BTS, elle découvre et côtoie le monde de la seconde main depuis plus de deux ans déjà :

Les curieux font le tour des friperies du centre-ville./Photo Clémence ROUX

“Je m’y intéresse depuis ma Terminale. J’étudiais alors à Agen. Mais là-bas, il n’y avait qu’une boutique de seconde main, qui a fermé depuis. Donc je m’y suis réellement plongée en arrivant à Toulouse l’année suivante.”

En deux ans, Sélène a eu le temps d’éplucher les différentes boutiques de Toulouse.“J’aime bien le côté un peu “vieillot”, ce qui a du vécu. Je préfère ça aux habits qu’on peut voir en “grande collection”, chez Zara par exemple, où c’est toujours la même chose. En fripe, on a vraiment des habits qui ont “des âmes”. C’est un peu comme si ta grand-mère te donnait un habit. C’est un trésor. Tu es trop heureux. Par contre, je trouve qu’il y a vraiment pas mal de boutiques en centre-ville de Toulouse. De plus en plus même. Mais personnellement, je trouve que les meilleures fripes ne sont jamais installées là où il y a beaucoup de monde.”

– “Oui, c’est sûr, il y a de plus en plus de boutiques de seconde main qui ouvrent. Rien qu’à Rue Saint-Rome, 3 ou 4 boutiques ont ouvert récemment”, confirme Maxime, vendeur et salarié de la friperie Face B.

Carte des boutiques et associations de seconde mais à Toulouse. /Data Wrapper
Carte des boutiques et associations de seconde main dans la centre-ville de Toulouse. /Data Wrapper

Face B, gérée par Lydia, est une friperie du quartier Saint-Aubin. A l’intérieur, la boutique est imprégnée de l’esprit “vintage” si prisé des fans de seconde main. Couleurs pétante, musique des années 80’, on peut retrouver dans un coin de la boutique, des vinyles d’occasions. Au fond, un gros néon rose “TATTOO” brille. “C’est un espace spécial de notre boutique où les artistes artistes Mauvaise main tattoo et Daddy arthrose peuvent venir tatouer de clients.

Lydia, la gérante, s’approvisionne de vêtements depuis 11 ans, dans des endroits dont elle seule à le secret, se rendant dans des marchés aux particuliers qui vendent à l’unité : « Nous cherchons des pièces qui racontent une histoire et qui peuvent séduire nos clients, détaille-t-elle. Chaque matin, nous installons des nouveautés soigneusement choisies pour donner une seconde vie à ces vêtements. »

Maxime, qui travaille aux côtés de Lydia, ajoute : « Même si ce notre boutique n’est pas dans les quartiers Capitole ou Jean-Jaurès, c’est quand même dans un axe passant. Les gens qui viennent sont généralement curieux ou habitués. Ce sont souvent des connaissances. »

Le « problème Vinted® »

Bien que tout semble aller pour le mieux pour Lydia et Maxime, un “problème” persiste : “Tout ce qui est ligne nous fait souffrir, affirme Lydia. Vinted® notamment. En proposant beaucoup de vêtements et de choix, ils portent préjudice aux fripes. Mais aujourd’hui, nous avons un nouveau problème : la “fast-fashion de la seconde main”. On achète en masse sur Vinted® mais on soulage sa conscience en se disant que c’est de la seconde main. Finalement, on ne porte le vêtement qu’une fois. Ça ne fait que déplacer le problème…”

Lydia et Maxime entourés de leurs pièces uniques. /Photo Clémence ROUX

L’augmentation de l’offre en ligne entraîne une forte concurrence, où les clients, séduits par la facilité d’achat, peuvent se détourner des friperies traditionnelles. Face à cette situation, des friperies, comme Berth, choisissent d’adopter une approche différente. 

Dans la boutique Berth, la vente s’effectue non seulement en magasin, mais également sur Vinted®. “Bien que cette plateforme soit le principal concurrent de la friperie, Manon, la gérante, a choisi de l’utiliser comme un outil pour élargir son marché, explique fièrement May-Ly, une vendeuse du magasin. Cette stratégie offre à la boutique une visibilité supplémentaire tout en répondant à la demande croissante pour la mode de seconde main. Les vêtements qui présentent des tâches tenaces, sont à prix réduit. Quant aux vêtements en mauvais état, ils sont redirigés vers Emmaüs, garantissant ainsi une seconde chance pour ces pièces.”

En sortant des boutiques, les clients sont généralement satisfaits de leurs achats. Et même si certains sont habitués à se rendre en friperie, les associations comme Emmaüs ou La Croix Rouge restent sur toutes les lèvres.

Henriette, 80 ans, partage son expérience en sortant de Chez Henry.

Emmaüs et les associations, « star » de la seconde main

Emmaüs étant très “prisé” par les passionnés de seconde main, il était donc primordial d’en parler. Malheureusement, malgré plusieurs relances, les responsables n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

Cependant, certaines boutiques, légèrement moins connues du grand public, possèdent le label Emmaüs. Installée dans l’éco-quartier de la Cartoucherie, CartouCirc fait bien plus que de la vente de vêtements d’occasion. Depuis quatre ans, Marion Robert, fondatrice de cette boutique pas comme les autres, fait progresser la structure avec un objectif :  promouvoir l’économie circulaire afin de créer un espace de solidarité locale. “Doucement mais sûrement”, comme elle aime le dire, elle a implanté son activité au cœur de la rue Thomas Dupuy, où les travaux viennent tout juste de se terminer, rendant la zone plus accessible. “C’est plus pratique maintenant et on commence à se faire connaître. En ce moment, on déborde d’affaires même”, confie Marion.

Marion et sa boutique solidaire CartouCirc. /Photo Clémence ROUX

CartouCirc fonctionne exclusivement sur la base de dons, qui affluent régulièrement chaque semaine. “Les jours d’ouverture peuvent voir passer jusqu’à 20 kg de vêtements féminins, 1 à 2 kg pour hommes et quelques articles de brocante. Le processus de tri est méticuleux : chaque vêtement est examiné sous une lumière intense pour détecter taches et déchirures. “Si c’est mouillé, ça va directement à la poubelle”, explique Marion.

Les vêtements pour femmes représentent la majorité des articles vendus. CartouCirc propose deux gammes de prix : une option abordable entre 3 et 8 € la pièce, ou un peu plus pour des articles de qualité supérieure. “La fripe pour femme est la plus rentable, précise Marion, alors que les vêtements pour enfants sont peu demandés.”

“Généralement, ce sont surtout des jeunes qui viennent dans la boutique, explique Marion. Sur les environs 200 adhérents de la boutique qui participent plus activement à la vie de la boutique, presque 40% sont des personnes âgés de moins de 30 ans !”

Diagramme du profil d’adhérents de CartouCirc. /Data Wrapper

“CartouCirc possède le label Emmaüs. Ce qui signifie que la boutique physique et la boutique en ligne sont agréées par Emmaüs 31. Il y a une exigence sociale : il faut faire de la solidarité. Nous on fait des bons cadeaux. Par exemple, au centre d’hébergement à Cartoucherie, on fait 5 € de bon cadeau/mois.”

D’autres initiatives solidaires contribuent également au dynamisme local. C’est le cas de la boutique Chez Henry, appartenant à la Croix-Rouge, où des bénévoles contribuent à la gestion de la boutique.

L’une d’elles, Marie-Laure, en éclaircit le fonctionnement : “C’est un nouveau concept que La Croix-Rouge vient de lancer. Pour l’instant, il n’y en a que trois en France : une à Toulouse, une à Lille et une en Bretagne. On se base simplement sur des dons. Les vêtements donnés sont soit revendus, soit transformés en “grigris” commes des mouchoirs, soit donnés aux combustibles pour le recyclage. L’argent récolté revient à La Croix-Rouge et sert à financer des interventions et des formations.”

Accrochés aux murs colorés de vêtements, de grands panneaux illustrent ce système. Les vêtements donnés sont triés dans un coin de la boutique, près des panneaux, sous les yeux de tous. “Nous avons aussi un espace qu’on appelle le “vesti-boutique” qui est réservé pour les personnes qui sont urgemment dans le besoin, comme des personnes vivant dans la rue.”

Du « luxe » de seconde main ?

Loin du monde de Chez Henry, dissimulée à l’étage d’un bâtiment du centre-ville, se trouve une boutique de seconde main bien différente de toutes les autres : ORMAIN.

Une fois dans la boutique baptisée “showroom”, l’ambiance “vintage” et années 80’ des friperie plus traditionnelles rencontrées plus tôt semble bien loin. Un style très épuré empli l’espace. Un mannequin trône près de la fenêtre, arborant un ensemble Chanel®. Deux élégants canapés invitent les visiteurs à se poser. Sur les murs, des sacs à main à n’en plus finir. 

“Notre marché c’est la seconde main de luxe, présente Brayan”, cofondateur de ORMAIN.

C’est en 2021 que Brayan et Romain, deux “meilleurs amis”, se lancent dans l’aventure ORMAIN : “Ça part d’une passion commune et des difficultés que nous avons pu rencontrer sur le parcours professionnel de la revente de pièces de seconde main dans le domaine du luxe. On a décidé de structurer et de mettre à notre image ce qu’on aurait voulu trouver à l’époque”, se remémore Brayan.

Spécialisés dans la maroquinerie de luxe, Brayan et Romain s’entourent de pièces d’exceptions d’Hermès®, Chanel®, Louis-Vuitton® ou encore Gucci®.

Brayan et Romain vous présente leurs « pièces d’exception ». /Vidéo par Lucie JODOT

“Aujourd’hui, le cœur d’ORMAIN reste le site internet, commente Romain. Toulouse est le siège social et le lieu du showroom, mais 80% de nos clients sont au niveau national et international grâce à nos réseaux sociaux et notre site internet.”

Bien que la boutique ne ressemble en rien à une boutique de seconde main, elle se base sur le même système : le dépôt/vente. “Quand on reçoit un objet, on l’estime par rapport au prix du marché, décrit Romain. Par la suite, on propose le prix au déposant. Lorsque c’est ok, on fournit un contrat de dépôt, et quand c’est vendu, ils sont rémunérés directement.”

“Notre véritable but, c’est de donner une nouvelle image à la seconde main. Ça a été pendant très longtemps boudé, puis cantonné à l’image de “friperie” ou aux dépôts/ventes classiques qu’on peut trouver en ville et qui ne mettent pas forcément en avant leurs produits. C’est presque du vide-grenier, “vide-dressing”. Pour nous, le but est de fournir un service comme en première main, mais pour des articles de seconde main. Le but n’est pas de brider les articles, c’est vraiment de les proposer au prix du marché avec la mise en avant qu’on peut proposer. Après, évidemment, en seconde main, on peut faire de très belles affaires aussi. Mais nous, c’est quand même beaucoup de communication, de mise en avant pour vendre des articles.”

Les deux fondateurs s’appliquent à fournir ce service. Un dernier tour est fait de la boutique et bientôt, il est temps de partir. Le soleil se couche sur Toulouse. Le monde obscur de la seconde main semble enfin plus clair.

Lucie Jodot et Clémence Roux