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CRITIQUE. Brûle le sang de Akaki Popkhadze – Choisir entre le bien ou le mal

Avec Brûle le sang, le réalisateur franco-géorgien Akaki Popkhadze signe un premier long-métrage percutant, où la violence et la foi s’entrelacent au coeur d’une tragédie familiale. Se déroulant dans les quartiers populaires de Nice, ce drame, porté par une performance magistrale de Nicolas Duvauchelle, incarne une exploration crue des liens fraternels, des traditions et de la quête de rédemption. Retour sur ce long-métrage sorti ce mercredi 22 janvier dans les salles toulousaines.

Le film suit deux frères, Gabriel et Tristan, unis par le sang mais séparés par leur vision du monde. L’un embrassant la violence et les excès et l’autre cherchant refuge dans la foi en souhaitant devenir prêtre orthodoxe. Mais la mort violente d’un pilier de la communauté géorgienne locale, leur père, vient bouleverser leur univers. Le film porté par une mise en scène nerveuse et poignante, nous entraîne dans la douleur de ce fils, Gabriel qui cherche à comprendre son héritage, tout en s’opposant aux codes familiaux qui l’enferment. Cette tension entre les protagonistes devient un moteur d’un récit où la noirceur et la violence sont omniprésentes, mais aussi sublimées par une mise en scène audacieuse.

Acte 1. Deux frères, deux mondes

L’une des forces du film réside dans la manière dont Popkhadze articule la relation entre Gabriel et Tristan. Leur lien fraternel est complexe et profondément marqué par des oppositions.

Nicolas Duvauchelle dans le rôle de Gabriel. Crédit : images du trailer

Brûle le sang est un film radical dans son approche de la violence, alors au centre de l’histoire, qu’elle soit physique ou émotionnelle. Gabriel, incarné par Nicolas Duvauchelle, est un homme marqué par la rage et la vengeance après le meurtre de son père. Il revient de Géorgie, avec un seul but : restaurer l’honneur familial. Sa quête est brutale, dénué de nuances et son corps en porte les stigmates. Ses gestes vifs et nerveux mettent en exergue son côté instable. Dans le rôle d’un frère aîné tourmenté, il livre une performance intense, où la colère est palpable dans chacun de ses mouvements.

A l’opposé, son frère cadet, Tristan incarné par Florent Hill, représente une forme d’équilibre et de foi. Loin de la violence de Gabriel, il cherche dans la religion un refuge, une discipline qui le protège des excès de son aîné. Cette dualité entre les deux hommes ; l’un en proie à la violence et l’autre cherchant la paix spirituelle ; structure l’ensemble du film. La confrontation entre ces deux figures, qui sont à la fois complémentaires et opposées, est d’autant plus poignante qu’elles révèlent la complexité de la nature humaine, tiraillée entre le désir de vengeance et celui de la rédemption.

Florent Hill dans le rôle de Tristan. Crédit : images du trailer

Acte 2. Une mise en scène où le corps est central

La particularité de Brûle le sang, réside aussi dans sa mise en scène. Popkhadze choisit de filmer son récit entièrement en grand angle, utilisant une focale large pour rapprocher les corps de l’écran. Nous sommes avec eux, les spectateurs s’immergent dans l’univers. Ce choix esthétique, qui place les personnages constamment au centre du cadre, accentue la proximité, voire l’intimité, avec eux. Le corps devient un champ de bataille où se jouent les conflits intérieurs. À travers des scènes de lutte, physique et spirituelle, le réalisateur capte les tensions palpables qui existent entre les personnages, leur quête de pouvoir, leur désir de rédemption et leur souffrance. En plus de la grande focale, le long-métrage est souvent parsemé de plans en caméra subjective mais également de plans séquences (longues séquences sans coupes) qui viennent accentuer la gestuelle particulière des personnages. On les suit, souvent en s’engouffrant dans des lieux alors plongés dans l’obscurité.

Scène de l’assassinat. Crédit : image du trailer

Le film n’est pas qu’une simple histoire de vengeance, il est aussi un drame où le corps se fait le miroir des âmes torturées. Les scènes de lutte de Tristan, pratiquant un sport typique géorgien, sont d’ailleurs un excellent exemple de cette centralité du corps dans le film. Chaque geste, chaque confrontation, chaque mouvement semble apporter un poids symbolique. La gestuelle et le corps nous en dit plus sur les personnages. La personnalité des protagonistes est très bien représentée dans la gestuelle. Gabriel, instable, en proie aux excès, se montre plus sec, plus maigre, crâne rasé, joues creusées. Or, son frère, Tristan, plus enveloppé, pratique de la lutte, un sport où la stabilité et le contrôle sont indispensables. Il se montre plus calme, plus silencieux, plus doux et plus lent. Finalement, la complémentarité des deux frères se dessine progressivement. Mais cette relation fraternelle, pourra potentiellement mettre en péril les protagonistes, avec la quête de vengeance de Gabriel.

Acte 3. « Au Nom du Père »

La dimension religieuse imprègne profondément le film, notamment à travers le parcours de Tristan. En cherchant à devenir prêtre orthodoxe, il incarne une résistance à la violence du monde dans lequel il a grandi. La religion n’est pas ici seulement un refuge moral, mais une arme dans la lutte intérieure qu’il mène pour s’échapper de la spirale de vengeance incarnée par son frère. Les titres des différentes sections du film – « Au Nom du Père », « Vaincre le mal », « Tu ne tueras point » et « Console ma peine », – ne sont pas qu’un simple cadre narratif, ils symbolisent l’évolution de la confrontation entre le bien et le mal, la foi et le doute, mais aussi l’agonie de Tristan entre le désir de pardonner et la tentation de suivre son frère dans la violence.

Dans Brûle le sang, la religion est à la fois un outil de rédemption et une forme de résistance face à la brutalité de l’existence. Cela s’exprime à travers des gestes empreints de spiritualité, comme les prières silencieuses ou les moments de dévotion, qui contrastent violemment avec l’agressivité et les luttes physiques que Gabriel mène pour réparer ce qu’il perçoit comme une injustice. Le film pose donc une question fondamentale : peut-on trouver la paix lorsqu’on est pris dans un cycle de violence ? Cette tension entre le spirituel et le matériel, entre la violence et la foi, traverse le récit.

Tristan le frère cadet auprès de sa mère, veuve. Crédit : image du trailer

Brûle le sang est un film puissant et audacieux, qui brille par sa mise en scène et la force de ses performances. La tension entre les personnages, le poids du passé et les questionnements spirituels qu’il soulève en font une oeuvre profondément humaine. Le film parvient à offrir une réflexion poignante sur les liens familiaux, les traditions, la violence et la rédemption. Popkhadze, avec une mise en scène audacieuse et des performances d’acteurs solides, parvient à capturer l’essence de ses personnages, qui, tiraillés entre la quête de vengeance et le désir d’apaisement, deviennent terriblement attachants. Avec ce premier long-métrage, il est certain que Akaki Popkhadze laisse son empreinte presque indélébile dans le paysage cinématographique français.

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