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Telegram,Snapchat, ces nouveaux marchés de la drogue

Les messageries cryptées sont devenues les eldorados des trafics de drogue. Photo: Tara Yates
Les messageries cryptées sont devenues les eldorados des trafics de drogue. Photo: Tara Yates

“Descends il est là dans 10 min” . 

L’écran de notre téléphone, autrefois simple outil de communication, est devenu le lieu de prédilection d’un trafic de cannabis réinventé. À Toulouse, comme dans de nombreuses villes françaises, Telegram et Snapchat sont au cœur d’un écosystème où dealers et consommateurs prennent contact. 

La digitalisation du trafic de drogue a bouleversé les codes. Ce qui, autrefois, impliquait des rendez-vous discrets dans des lieux peu recommandables, se règle désormais à coups de messages cryptés. « Il suffit d’un clic pour être mis en relation avec un dealer », confie Y , habitué à utiliser Telegram. « C’est beaucoup plus simple qu’avant, surtout en tant que femme, on se sent plus rassurées ».

Des vidéos comme monnaie d’échange

X témoigne. Lorsqu’elle a voulu rejoindre un groupe de vente sur Snapchat, elle a été confrontée à une demande surprenante : envoyer une vidéo d’elle-même. « Ils voulaient que je montre mon visage et que je prononce le nom du groupe. » Sur le moment, X n’a pas réalisé les implications de cette demande, mais elle a rapidement compris que cette vidéo pouvait être utilisée pour éviter toute dénonciation. 

Quelques semaines plus tard, X reçoit une notification d’un message posté sur le groupe. « Ils avaient publié une vidéo d’un consommateur, du même style que celle que j’avais envoyée. Cette fois, c’était pour donner une rançon à la personne qui la retrouverait. Ils accusaient la personne d’avoir braqué son dealer ». Un exemple des nouveaux mécanismes d’intimidation mis en place par les trafiquants pour protéger leurs réseaux.

« Je comprends qu’ils fassent ça pour se protéger, mais savoir qu’ils conservent ma vidéo n’est pas très rassurant ». En effet, ces méthodes posent une vraie question de protection des données.

Télégram : l’arme numérique des dealers

Y utilise Telegram, une plateforme qui a su s’imposer comme le repaire des trafiquants en quête d’anonymat. Malgré les controverses entourant Pavel Durov, le fondateur de l’application – accusé par la justice française de complicité indirecte dans divers trafics en raison d’une modération insuffisante –, certains groupes continuent d’exister.

« Avant, c’était simple. On pouvait facilement être ajoutés. Aujourd’hui, c’est devenu très encadré. Il faut un parrainage, poster une annonce avant de rejoindre le groupe. Moi, j’ai rejoint le groupe avant tout ça » Y se souvient d’une époque où les dealers étaient plus laxistes. « Maintenant, les nouveaux sont obligés de se filmer. D’un point de vue protection des données, c’est vraiment limite».

La méfiance a gagné toutes les parties. Les consommateurs craignent les représailles, et les dealers, assurant leur sécurité, imposent des règles de plus en plus strictes.

Un réseau hiérarchisé et organisé

Z, lui, a franchi une autre étape de cet écosystème en devenant livreur pour des dealers. « J’ai vu une annonce de recrutement avec une paye entre 700 et 1 000 euros par semaine pour un mi-temps. Ils m’ont demandé mon adresse et quelques infos sur moi (adresse, âge, situation…). Ensuite, on me donnait les adresses. »

Z décrit un système millimétré. « La nourrice donne le produit, et c’est à cette personne que je remets les recettes à la fin de la journée. On ne sait pas qui fournit à la base. On m’envoie une adresse, un poids, un prix, un peu comme Uber Eats. Un autre intermédiaire prévient le client, puis la transaction se fait. »

Il explique également la flexibilité apparente du système : « On a le choix entre un mi-temps et un temps plein, et on est payés à la fin de la journée. » Il affirme avoir livré tous types de consommateurs : étudiants, personnes aisées, vieux, jeunes… « Ce n’est pas juste un truc de jeunes dans les cités, c’est partout. »

La police face à un casse-tête numérique

Pour les forces de l’ordre, cette digitalisation est un défi colossal. Démanteler un point de deal physique était une mécanique bien rodée. Aujourd’hui, chaque enquête s’apparente à une chasse au trésor numérique.

Sur le terrain, les équipes pouvaient observer les allées et venues, intercepter les clients. Maintenant, tout se joue sur des serveurs, avec des pseudonymes et des conversations cryptées, rendant les arrestations beaucoup plus difficiles. 

Malgré tout, le numérique laisse des traces. Les historiques de discussion, les transactions bancaires ou les erreurs humaines des trafiquants peuvent parfois permettre des percées décisives. Selon la Dépêche, « les surveillances, les interceptions téléphoniques et les géolocalisations permettent de mettre à jour les réseaux de revente. »

Une nouvelle ère du trafic

La digitalisation du trafic de cannabis a changé les règles du jeu. Plus accessible pour les consommateurs, plus sécurisé pour les dealers, mais infiniment plus complexe pour la police, elle a transformé un marché déjà opaque en une économie clandestine.

*Les intervenants ont souhaité conserver leurs anonymats.

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