Pedro Almodóvar, maître du cinéma espagnol et cinéaste reconnu pour son audace visuelle et narrative, nous revient avec La chambre d’à côté une oeuvre empreinte de sa touche unique : des personnages hauts en couleur, une mise en scène minutieuse et une exploration intense des émotions humaines. Sorti depuis mercredi dernier dans les salles toulousaines, on retrouve en tête d’affiche, une Julianne Moore spectaculaire et une unique Tilda Swinton. Un duo feu/glace qui s’équilibre parfaitement. Dans ce dernier film, les deux actrices interprètent des amies de longues dates, Ingrid et Martha. L’une est romancière à succès et l’autre reporter de guerre, mais au fil du temps, leurs chemins se séparent. Des années plus tard, elles seront forcées à se retrouver et pour une raison bien particulière…
Un jeu d’actrices sublime
Julianne Moore et Tilda Swinton, toutes deux brillantes dans leurs rôles respectifs, offrent des performances de très haute volée. Ingrid, incarnée par Julianne Moore, écrivaine à la carrière brillante mais rongée par une peur irrationnelle de la mort, est invitée par sa voisine, Martha, une ancienne reporter de guerre désormais atteinte d’un cancer incurable, à l’accompagner dans un dernier acte ultime : le suicide. Une demande improbable et pourtant terriblement crédible dans l’univers d’Almodóvar, où les personnages sont toujours à la frontière de leurs pulsions et de leurs désirs inavoués.
Swinton, dans le rôle de Martha, incarne une femme à la fois brisée par la maladie et lucide sur sa fin imminente. Sa prestation est d’une intensité rare, toute en retenue, mais empreinte d’une douleur et d’une beauté tragique. Elle incarne l’acceptation du pire, le désir de contrôler sa propre fin, comme un ultime acte de rébellion face à l’injustice de la vie.
Julianne Moore, quant à elle, se glisse dans la peau de Ingrid avec une émotion déchirante. Sa peur de la mort, sa constante introspection et son besoin de fuir sa propre existence prennent forme à travers un jeu d’une grande subtilité. Sa quête de sens, son hésitation face à la demande de Martha, sont dépeints avec une puissance émotionnelle qui frappe au coeur. Les deux actrices forment un duo poignant, une alchimie parfaite entre deux femmes aux trajectoires de vie opposées mais unies par une souffrance commune.
Une atmosphère almodovarienne
Dès les premières scènes, l’influence d’Almodóvar sur son propre univers cinématographique est évidente. L’utilisation du rouge vif, du jaune, du vert ou encore du bleu électrique, des couleurs emblématiques de son style, envahit l’écran, donnant à chaque image une intensité presque psychédélique. Cette utilisation de couleurs vives donne également un sens aux personnages. Cette palette, signature d’Almodovar, sert toujours l’émotion ou l’état mental des personnages et incarne l’un des aspects les plus caractéristiques de son cinéma.
Martha, malade, est souvent raccrochée à des couleurs plutôt ternes. Comme son manteau gris ou encore ses tenues bleutées. Ou même le transat vert d’eau, sur lequel elle se repose dans le jardin de la maison qu’elle loue. Son opposé, Ingrid, le feu, est mise en avant avec des couleurs plutôt vives, notamment avec du rouges vif, maquillage coloré prononcé, manteau vert ou encore bleu marine. Elles représentent toutes deux la vie et la mort. L’une a peur de la mort et l’autre est prête à partir. Opposées, elles trouveront leur équilibre. Almodovar n’hésite pas à creuser dans des thèmes complexes comme l’amour inassouvi, la douleur et le refuge dans l’art.
Une narration fluide mais déroutante
Comme souvent dans ses films, la structure narrative de La chambre d’à côté est fluide, mais parfois déroutante. Almodóvar n’hésite pas à mélanger les temporalités et à jouer avec les points de vue pour mieux illustrer les mondes intérieurs de ses personnages. Le film est également marqué par une certaine mise en abîme, avec un personnage central qui, comme souvent dans l’oeuvre d’Almodóvar, est créateur : une écrivaine en proie à ses démons intérieurs, dont les récits personnels se mélangent à sa réalité.
Dans les dialogues, eux aussi, sont d’une précision et d’une richesse remarquables. On y retrouve l’esprit irrévérencieux de l’auteur, qui parvient à allier humour et gravité, tendresse et dureté. Dans des scènes dialogues d’une grande intensité, Almodóvar met en lumière les subtilités du désir humain et les non-dits qui, parfois, définissent une relation.
Un film sur le suicide, la peur et l’amour
La chambre d’à côté est avant tout une réflexion sur la vie et la mort, mais aussi une exploration de la relation humaine dans sa forme la plus extrême. Almodóvar nous plonge dans un questionnement sur la fin de vie, mais il le fait avec sa propre sensibilité, mêlant les tensions psychologiques et les émotions brutes. Le film interroge la valeur de la vie face à l’inéluctable et met en lumière cette question difficile : peut-on choisir la fin de sa propre histoire, ou sommes-nous condamnés à subir la suite des événements, quels qu’ils soient ?
Les dialogues, souvent intenses et sans détour, dévoilent des non-dits et des fractures intérieures qui soulignent la prise de distance entre les deux femmes. Pourtant, dans cette maison éloignée, où elles passeront quelques temps, un lien se tisse lentement, fait de partage, de mémoire et de douleur.
Le film prend une dimension presque spirituelle, à la fois troublante et touchante sur le rapport qu’on entretient avec la mort. Le suicide, loin d’être montré comme un acte de désespoir seul, est aussi une manière pour Martha d’affirmer son dernier contrôle, tandis que Ingrid, en s’engageant dans ce voyage avec elle, se confronte à sa propre incapacité à accepter la finitude. Dans ce film, Pedro Almodóvar semble s’éloigner de ses travers habituels, mais il conserve ce qui fait sa force : une écriture aiguisée des personnages et une exploration intime de leurs sentiments les plus profonds. Loin des exubérances colorées de films comme Volver avec Penélope Cruz ou encore La piel que habito, il s’adapte au ton plus grave du récit, tout en réussissant à imprimer sa signature visuelle à chaque scène.
Avec La chambre d’à côté, Almodóvar propose un film d’une rare intensité, un cheminement complexe entre la vie et la mort, où chaque silence et chaque geste a son importance. Une oeuvre fascinante qui ne laisse pas indemne, un tour de force qui, sans se précipiter, nous entraîne dans les méandres de la condition humaine.