« Pour moi, c’est vraiment un état. C’est une espèce de peur par rapport au fait de ne pas arriver à se projeter. On peut ressentir la perte de motivation, le sentiment d’impuissance et surtout, pour ma part, du dégoût ». Voici comment Paul, 22 ans, médiateur scientifique à Toulouse définit l’éco-anxiété. Il y a de multiples facteurs qui alimentent la formation de l’éco-anxiété chez les jeunes. Un éco-anxieux ou une éco-anxieuse, développe une inquiétude face aux catastrophes écologiques, telles que le dérèglement climatique, le perte de la biodiversité, la pollution ou encore la déforestation. Selon une étude menée dans une dizaine de pays, dont la France, 45 % des jeunes souffrent actuellement d’éco-anxiété. Même si elle est exclue du domaine des pathologies psychologiques, elle peut s’accompagner de dépression, de problèmes d’alimentation, ou encore de troubles du sommeil.
Selon Grégoire Souchay, journaliste indépendant spécialisé dans l’environnement, l’absence d’évolution est l’élément déclencheur de cette éco-anxiété. « Si on est éco-anxieux, c’est parce qu’on voit autour de soi que les choses n’avancent pas. Que politiquement ça n’avance pas, alors que la dégradation, elle, si. Ce qui rend anxieux, comme le disais le climatologue Christophe Cassou, c’est vraiment ce décalage entre l’inaction ou l’action minime, et à côté, la vitesse des changements climatiques ». Pour Laura, 22 ans, étudiante en gestion et valorisation naturaliste, l’éco-anxiété est quelque chose de bien réel. « Ce n’est pas une maladie, mais c’est quelque chose à prendre au sérieux. Tu en viens à te poser des questions et ça t’affectes au quotidien ».
L’éco-anxiété s’est manifestée de différentes manières chez les jeunes rencontrés. Pour Élodie, étudiante en dernière année de master en design graphique, le changement climatique en est la cause première : « C’est depuis 3 ans que je me rends compte de certaines choses, et que ces dernières m’affectent. Ce n’est pas de l’anxiété, parce que je trouve que ce mot fait peur, mais plus un sentiment d’impuissance qui prend le dessus ». Un sentiment d’impuissance partagé par Paul et Laura, qui s’estiment eux aussi touchés par l’éco-anxiété depuis trois, voire quatre ans. « Pour ma part c’est un livre sur l’étude de l’effondrement, qui m’a alerté. Ce livre s’appelle « Comment tout peut s’effondrer » et il explique toutes les disparitions d’espèces et le fait qu’on fonce droit dans le mur », raconte Laura. « Ce livre te montre tout et du coup , tu as un peu toutes les preuves en face ».
Des conséquences sur les pensées
En plus de ses conséquences sur la santé des jeunes, l’éco-anxiété affecte également leur perception du futur. Les rapports du GIEC – groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ou encore les médias, alimentent notamment ces perceptions négatives. Les éco-anxieux et éco-anxieuses repensent donc à leur futur, en prévision des catastrophes naturelles et pénuries à venir. Par exemple, deux sur trois des jeunes interrogés, ne songent pas à posséder une voiture à titre personnel. « Le permis , pourquoi pas ? Mais la voiture, non. On a une multitude de transports en commun aujourd’hui », confirme Paul.
Autre exemple, certains éco-anxieux ou éco-anxieuse, ne souhaitent plus avoir d’enfants. Ce choix est renforcé par la volonté de ne pas faire subir les conséquences du réchauffement climatiques, aux générations à venir. Élodie en fait partie : « Je pense à ne pas faire d’enfants, car on ne sait pas dans quel monde on va évoluer et à quel point il sera déréglé climatiquement. Je comprends les gens qui ont cette vision dite extrême ». Paul confirme en rappelant qu’il a déjà du mal à se projeter, et qu’il se questionne donc sur le fait de donner la vie. Laura qui est aussi scout à côté de ses études, assure de son côté, qu’elle souhaiterait tout de même avoir un enfant, mais mentionne par ailleurs, la question de l’adoption.
« On en parle partout, il faut savoir se déconnecter »
Il est clair maintenant qu’aujourd’hui, le dérèglement climatique n’est pas un sujet que nous pouvons éluder. Dans les médias, les livres ou encore les réseaux sociaux, la question de l’avenir de la planète est omniprésente. « Les réseaux sociaux ont beaucoup aidé », commente Paul. « Via Instagram ou autre, on voit ce qui se passe , notamment les actions menées par les associations par exemple. Comme les vendredis pour le climat ». « Mais logiquement, on voit aussi les mauvaises choses et ça démoralise vite », enchaîne Élodie. « Les problèmes environnementaux on en parle partout, il faut savoir se déconnecter, l’être trop n’est pas le mieux mentalement ».
Pour pallier cet éco-anxiété presque omniprésente, s’alimenter à des sources plus encourageantes et « juste vivre et profiter du moment », semblent les mots d’ordre à appliquer. « Il ne faut pas vivre dans le déni, mais arrêter de s’informer à ce sujet pendant un moment. Continuer les petits gestes écolos que l’on peut faire à notre échelle, aide », affirme Élodie. « Effectivement. Moi, j’essaye de ne pas y penser tout le temps, sinon tu te prends la tête très vite. Au quotidien, je fais de petits écogestes, que tout le monde devrait faire chez soi. Après j’essaye de trouver des actions à faire au collectif, c’est comme ça qu’on a un vrai impact », conclut Laura.
Frédérique Durand, enseignant chercheur à l’université de Toulouse, affirme en précisant que se détruire physiquement ou mentalement ne résout rien. « Je l’explique à mes élèves en leur racontant que moi même, j’ai été atteint par cette éco-anxiété au point d’en être malade. Il est tout à fait possible de le surmonter, pour les cas extrême, à l’aide de moyens », explique-t-il. « Il faut se dire qu’on y peut rien et qu’il faut l’accepter, donc adopter une certaine forme de résiliation. Soit au contraire rentrer dans une logique plus militante et partir informer, pour que les choses changent et essayer d’éviter que ça ne s’aggrave trop ».