La reforme des retraites concerne tous les actifs, les salariés, les indépendants et les fonctionnaires. Parmi eux, les agriculteurs. Ils font partie des catégories socio-professionnelles dont les pensions de retraites sont les plus basses. Soit 1200 euros brut pour les carrières complètes sans hachure.
Dans le cadre de la reforme, le dispositif de carrières longues « sera adapté pour qu’aucune personne ayant commencé à travailler tôt ne soit obligée à travailler plus de 44 ans », indique la Première ministre dans le dossier de presse. Ceux qui ont commencé avant 16 ans pourront partir dès 58 ans, ceux qui ont commencé entre 16 ans et 18 ans pourront partir en retraite dès leurs 60 ans et ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans pourront partir à l’âge de 62 ans.
Comme les autres professions, il faudra effectuer 172 trimestres sans interruption pour prétendre à une pension de retraite à taux plein.
L’Homme méprisé
Guy Le Cabec est né le 01 avril 1963. Il a commencé à travailler à l’âge de 18 ans et 5 mois. Le 01 juillet 1986, Guy s’installe à son compte. Il investit dans des bâtiments, des bêtes (porcs) et dans 95 hectares de surface agricole utile. Aujourd’hui Guy a 60 ans. Il a eu une carrière longue et complète. Sans aucune interruption.
La loi actuelle lui permet de partir en retraite le 31 décembre 2023. Si la reforme en discussion passe, il faudrait que Guy travaille 6 à 9 mois supplémentaires, « mais quand tu entames une année, tu vas jusqu’au bout car dans le monde agricole, tu cotises pour un an », confie t-il. Guy partirai alors en retraite le 01 janvier 2025.
Guy travaille 7 jours sur 7. De 8h du matin à 8h du soir. Il s’autorise une pause déjeuner d’une heure. L’homme va nourrir ses bêtes deux fois par jour.
« Quand on va à l’hôpital, on nous demande sur une échelle de 1 à 10, à combien on souffre. Je jaugerai la pénébilité de mon travail autour de 7 ou 8. C’est une fatigue chronique, autant physique que mentale », admet Guy.
Guy vit à Brélidy, dans les Côtes d’Armor (22) avec sa femme. Au départ, le couple tenait l’exploitation agricole mais à l’arrivée de leurs deux filles, Claudine a fait une pause dans sa carrière. Ce qui ne lui permet pas de prétendre a une pension de retraite maximale. Aujourd’hui, elle a changé d’activité et est devenue famille d’accueil pour les enfants en difficulté.
« La MSA n’est pas généreuse. Claudine a eu le minimum de leur part. », avoue Guy. La Mutualité sociale agricole (MSA) est en négociation avec le gouvernement afin de définir le nombre de trimestres requis pour obtenir une retraite pleine. « Si je ne suis pas éligible, la MSA peut me refuser mon départ en retraite. Je me vois mal tenir une ferme à 64 ans avec le stress et le rythme de travail ».
Le report de son départ en retraite viendrait retarder l’installation de son jeune neveu.
Ricochet sur la jeunesse
Sebastien Le Cabec est un jeune homme de 23 ans. Il a pour projet de reprendre l’exploitation agricole familiale. « Je devais m’installer en fin d’année 2023, mais si la reforme des retraites passe, je devrais attendre la fin de l’année 2024 car le départ en retraite de mon oncle ne coïncidera plus avec la législation. », témoigne Sebastien. « En attendant de mener à bien mon projet, je continue mon boulot de technico-commercial, mais je suis moins motivé car j’ai mon projet en tête ».
« La reforme me concerne. J’ai un objectif pour lequel l’échéance est repoussée à cause d’un imprévu. La reforme. C’est démoralisant pour un début de carrière. », avoue le jeune homme. « Il y a énormément de démarches administratives à faire, des démarches parfois très coûteuses. Des démarches qu’il faudra peut-être refaire en fonction du différé », s’agace Sebastien.
Pour le jeune homme qui a commencé à travailler à l’âge de 21 ans, il lui faudrait travailler jusqu’à ses 64 ans pour toucher une pension de retraite à taux plein, soit 1200 euros brut. Sebastien Le Cabec ne compte pas sur l’obtention de cette somme qu’il trouve « insuffisante pour vivre. Le coût de la vie augmente, la pension elle, est trop basse pour subvenir aux besoins primaires d’une majorité d’entre nous ».
Bien qu’à 20 ans, la reforme des retraites ne nous touche pas directement, elle peut influencer nos projets, nos carrières, nos ambitions. Ils sont nombreux, comme Sebastien, à être impuissant, face aux décisions de l’hémicyle.
Sebastien et son oncle imaginent d’autres solutions pour faire perdurer le système de retraite en France.
Le référendum
Selon Guy Le Cabec, l’Etat devrait prendre des décisions par corps de métier « et non mettre tout le monde dans le même panier ».
Cependant, pour lui, tout n’est pas à jeter dans cette reforme. « Je suis heureux d’apprendre que le gouvernement souhaite se baser sur les 25 meilleures années de carrière et plus sur l’ensemble de la carrière comme l’indique la législation actuelle ». Certaines années, les productions des exploitants agricoles vont être déficitaires, ce qui réduit le taux de cotisations.
« Je connais certains retraités agricoles qui touchent 700 euros de pension de retraite. Personnellement, je m’attends à une somme entre 750 et 900 euros net », affirme Guy.
Pour l’oncle, comme pour le neveu, le métier d’agriculteur est un métier de passion. « C’est un mode de vie très different. On est son propre patron mais on a des impératifs. Pas, ou peu de vacances. Un travail quotidien ».
Conscients que le nombre d’actifs est en baisse, ils restent persuadés que rallonger le temps de travail n’est pas la solution.
« Il faudrait faire cotiser davantage les grosses entreprises, les grands groupes sans les saigner non plus », suggère Guy.
« Je ressens du mépris dans les propos d’Elisabeth Borne, elle n’est pas concernée par cette retraite. L’Etat ne s’applique pas les décisions qu’ils appliquent aux Français. Sur certains sujets très importants comme la retraite, il faudrait faire un referendum ».