Vieillir n’est pas une maladie. Pourtant, en vieillissant, chacun d’entre nous risque de perdre des capacités cognitives, sensorielles ou encore physiques. Ces difficultés se traduisent par des besoins d’aides multiples ainsi que de personnel pour administrer ces soins. En France, depuis 3 ans environ, la pénurie de main d’oeuvre n’a pourtant jamais été aussi aiguë dans le secteur de l’aide à domicile. Nous sommes partis à la rencontre d’aidantes à la fois jeunes et persévérantes.
Chaque année, la Dares, le service de statistiques du ministère du Travail, fait ses comptes. Les rapports régionaux de cette année révèlent que plusieurs secteurs d’activité éprouvent des difficultés à recruter. Parmi ces corps de métier : les ouvriers qualifiés, les aides soignants ou encore les aides à domicile. Le document concernant la région Occitanie prouve en effet que le secteur de l’aide à domicile est l’un de ceux qui affichera le plus de postes à pourvoir dans la décennie à venir.
Ces métiers sont considérés comme étant « en tension », parce que le nombre d’offres d’emplois est supérieur à celui des candidats. Et ce, pour diverses raisons : déficit de formation et de main d’œuvre (comme dans l’informatique ou la santé), manque d’attractivité (horaires tardifs, travail le week-end), pénibilité (contraintes physiques, travail répétitif, charge émotionnelle) ou encore conditions contractuelles (emplois en CDD au lieu de CDI par exemple). Nous sommes partis à la rencontre de deux jeunes étudiantes qui malgré la crise qui touche le secteur dans lequel elles ont choisi d’exercer leur job étudiant, y restent… Mais alors dans quelles conditions ?
« Je me sens d’autant plus utile »
Lola est étudiante en troisième année de licence de droit à l’université du Capitole et réside dans un logement étudiant près de Saint-Orens. « Entre les factures d’électricité, l’essence, la nourriture et le loyer » la jeune femme n’a pas eu d’autres choix que de trouver un job étudiant pour arrondir les fins de mois. Depuis mai 2022 tous les vendredis, samedis, et un dimanche sur deux, Lola se rend au domicile de 7 personnes différentes.
« J’ai été recrutée en 5 minutes. J’ai dû répondre à un questionnaire recto verso puis discuter 2 minutes avec l’une des responsables et c’était bon. » Dans ce questionnaire, Lola a dû répondre à des questions telles que « Seriez-vous à l’aise dans un logement insalubre ? », « Êtes-vous à l’aise avec les personnes atteintes d’un trouble alcoolique ? » ou encore « Préférez vous travailler avec une personne atteinte de handicap âgée ou une personne atteinte de handicap jeune ? ». Le lendemain, Lola était déjà au contact d’une femme atteinte de schizophrénie. « Si elle vous demande de partir, partez. » lui a-t-on conseillé. « J’avoue que je n’étais pas très rassurée en arrivant chez Sabine, au final c’est un amour… ».
Découvrir des personnalités et discuter, c’est certainement la « partie du job » que Lola préfère. C’est d’ailleurs pour ces raisons que cette étudiante de 21 ans persiste. Une chose est sûre ce n’est pas pour ce qu’elle est payée : « Je touche 550 euros par mois en sachant que les frais kilométriques sont compris dans ce salaire. Comparé à ce que mes amis peuvent gagner dans des boutiques du centre ville, c’est dérisoire mais je me sens d’autant plus utile ».
Des critères de recrutement qui s’abaissent
Les postes proposés sont très souvent convoités par les plus jeunes dont les standards de conditions de travail sont moins élevés que certaines personnes plus expérimentées. Il faut dire que les recruteurs sont de moins en moins regardants sur la formation dont doivent bénéficier les aidants et ce facteur n’est pas négligeable pour les jeunes étudiants sans expérience.
Ce constat, la plupart des agences d’aides à domicile sont en capacité de le faire, y compris celle que nous avons rencontrée. « Nos standards se sont clairement abaissés ces trois dernières années, nous ne sommes plus en capacité d’uniquement recruter des personnes habilitées » confie Aurore, responsable d’agence associative d’aide à domicile à Toulouse.
Bien que l’agence (qui a souhaité garder l’anonymat) assume recruter davantage de jeunes sans expérience dans le secteur médical, cette dernière réfute totalement le fait de leur confier des tâches nécessitant une quelconque habilitation dans le secteur : « Chacun est à sa place chez nous, on ne demandera jamais à quelqu’un sans expérience de pratiquer des actes médicaux. Au maximum, ces aidants font le ménage et le repassage mais jamais plus. » certifie Aurore, en charge du recrutement.
« J’ai été désenchantée »
Thaïs* que nous avons également rencontrée dans le cadre de cette enquête nous a pourtant détaillé ses journées et les tâches confiées à cette jeune étudiante ne se limitent pas au ménage. La jeune femme a été recrutée en mars 2022 et près de 2 ans plus tard elle reste aussi investie qu’au premier jour : « Je suis toujours aussi motivée mais durant les premiers mois j’ai été désenchantée. Je ne m’attendais pas à devoir faire la toilette des personnes âgées par exemple ». Parmi les missions réalisées, l’étudiante a déjà été chargée de changer les protections hygiéniques de 3 personnes différentes. Tous les vendredis cette dernière rend également visite à Karim, jeune tétraplégique, à qui elle doit aussi donner la douche. À l’instar de ses collègues, Thaïs trouve à ce job étudiant un aspect gratifiant. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’elle continue de l’exercer tous les mercredis et vendredis soirs : « Ça peut paraître cliché mais ce qui me porte depuis toujours c’est aider les autres. Grâce à ce job je m’y retrouve ».
Une situation critique pour nos ainés
Malgré l’investissement de ces jeunes animées par l’envie d’aider, le secteur reste très nettement en souffrance. Plus grave encore, cette situation a des conséquences directes pour nos aînés. La pénurie d’aides à domicile assombrit le quotidien des personnes âgées en perte d’autonomie qui font appel à elles. Or, jamais la crise du recrutement n’a été aussi aiguë. « On recrute beaucoup moins, mais surtout on n’arrive pas à garder le personnel. Résultat, les personnes en perte d’autonomie sont perturbées par le turn over ». remarque Aurore, salariée de cette même agence.
« Le pire dans tout ça c’est que parfois il y a erreur de casting » conclut Thaïs. « Certaines des personnes que j’aide m’ont déjà fait part des mauvaises expériences avec certains aidants. » ajoute-t-elle.
Pour revaloriser le métier, le gouvernement multiplie les mesures financières depuis trois ans. Parmi les projets, l’État souhaiterait notamment améliorer l’offre de répit, qui permet à un aidant de prendre quelques jours de congé pour se reposer, un meilleur cumul de la retraite ainsi que « la prise en compte des savoirs expérientiels », c’est-à-dire la reconnaissance de l’expérience personnelle de la personne dans son parcours de soin. De quoi convaincre les aidants de rester ?