Dans la manifestation toulousaine contre la réforme des retraites, la foule se trémousse intriguée mais enchantée sur un remake de Bande Organisée. La sono est à fond, les paroles sont cash : «Féministes en Grève, dans la rue, on est chaudes…» Objectif : se rendre audibles et… visibles. Alors c’est parti : « Grandes perdantes des quinquennats », « Femmes précaires, femmes en guerre« , « C’est la grève générale, c’est la grève féministe« , lance Marie-Laure, 37 ans, conseillère en économie sociale et familiale.
Au cours de son parcours professionnel, Marie-Laure a vécu de nombreux drames. Par sa personnalité sensible et attachante, Marie-Laure est une force tranquille de la chorale où elle chante. L’unique exception se trouve dans sa relation avec Blandine, son amie de longue date, où sur certaines remarques, Marie-Laure peut sortir de ses réserves.
Marie-Laure travaillait au préalable depuis 17 ans dans le domaine médical à Cornebarrieu. Alors qu’elle demandait à son supérieur un congé exceptionnel pour pouvoir passer Noël 2021 avec ses enfants et ses petits-enfants, elle apprenait le lendemain le décès de sa collègue de travail. À cet instant, c’était impossible pour elle de travailler dans ce contexte. Marquée par la culpabilité de ne pas avoir été présente cette nuit-là, elle décide de démissionner.
Fin mars 2022, Marie-Laure décide de se réorienter en repartant de zéro, forgée par son caractère plein de bonne volonté, elle a décidé d’aller de l’avant.
Son message est clair pour les retraites, et elle connait parfaitement la situation : « Son sale plan retraite nous jette dans la précarité. Nous avons une retraite inférieure à celle des hommes de 42%, un départ en retraite en moyenne un an plus tard que les hommes. » En 2022, 37% des femmes touchaient moins de 1 000 € de pension brute contre 15% pour les hommes. En moyenne, elles partent à la retraite avec des pensions inférieures de 40 % en moyenne à celles des hommes.
Le cortège lancé, la chorale féministe se positionne parmi les étudiants, présents eux aussi pour faire entendre leurs inquiétudes sur leur future retraite. Les étudiants mobilisés fustigent une réforme des retraites «injuste» mais aussi l’ensemble de la politique du gouvernement. Les associations étudiantes espèrent instaurer un nouveau rapport de force.
Parmi la large foule d’étudiants qui s’est rassemblée au niveau du jardin Raymond VI, une voix se fait entendre à travers les nombreux slogans, celle de Sophie, étudiante en Gestion à l’université Capitole de Toulouse. L’étudiante jure n’avoir jusqu’ici jamais entendu un étudiant favorable au recul d’âge de départ à la retraite et globalement contre le gouvernement mené par Emmanuel Macron.
« On est contre la réforme des retraites et plus globalement contre le projet de société du président Macron. La réforme va précariser davantage les plus précaires.«
Sophie, étudiante en Gestion à l’université Capitole
La jeune femme se sent directement concernée. Fervente défenseuse des manifs climat depuis la 4e, elle considère que : « La retraite est un combat qu’il faut mener jeune. On doit soutenir ceux qui sont les premiers concernés et même si ça paraît lointain, nous sommes aussi concernés par cette réforme. »
La Toulousaine de 22 ans tient un panneau sur lequel on peut lire : C’est la grève générale, C’est la grève féministe. « Ma mère fait partie des premières touchées par la réforme, explique la jeune fille, elle devra travailler plus longtemps, alors qu’elle a des problèmes de santé. C’est injuste ! »
Au cours d’une discussion avec son Amie Théa, la Toulousaine d’adoption comme elle aime se décrire rajoute : « Les femmes sont déjà pénalisées dans le monde du travail parce qu’elles ont des carrières hachées, qu’elles sont moins bien rémunérées et que ce sont le plus souvent elles qui arrêtent de travailler lorsqu’un enfant arrive, et elles le payent à la retraite. La réforme va aggraver ça ! »
Les femmes seront « un peu pénalisées » par la réforme des retraites, reconnaissait le ministre Franck Riester il y a quelques semaines. La Première ministre, Elisabeth Borne, a tenté d’éteindre l’incendie allumé par M. Riester. « Nous protégeons les femmes qui ont des carrières incomplètes et hachées, les femmes qui ont commencé à travailler tôt, les femmes qui ont des petites pensions », a-t-elle réagi, vivement interpellée à l’Assemblée nationale sur ce sujet. « La réforme contribuera à réduire l’écart de pension entre les hommes et les femmes », a-t-elle martelé.
En réalité, la réforme va pousser les femmes à prolonger un peu plus leur activité.
Surreprésentées dans certains secteurs peu rémunérateurs, les femmes sont aussi plus nombreuses à travailler à temps partiel ou à interrompre leur carrière lorsque les couples ont des enfants. Et d’après l’étude d’impact qui accompagne le projet gouvernemental, ce sont elles qui allongeront le plus leur carrière après la réforme, notamment en raison de la dilution de l’effet des trimestres validés en contrepartie de la maternité.
Les voilà de retour pour une nouvelle saison de mobilisation. Dans le cortège toulousain, cette question de l’aggravation des inégalités revient sur les pancartes et dans les discours des manifestantes. Parmi elles, Claude, 59 ans, salariée dans une société de gestion et syndicale chez Les Utopiques. Son visage joyeux masque sa colère envers le gouvernement.
Pour elle, le bon âge pour partir à la retraite serait 60 ans. Le recul de l’âge de départ légal l’inquiète en raison de l’impact que cela pourrait avoir sur les solidarités intergénérationnelles. » A 60 ans, on s’occupe encore de ses enfants, mais aussi de ses parents. Et les retraités sont aussi ceux qui font tourner les associations. Ils ont un rôle à jouer dans la société ! » Déjà mobilisée le 19 janvier, Claude en est persuadée : pour faire bouger les contours du projet de réforme, » c’est dans la rue que ça se passe » plus qu’au Parlement, où il sera débattu jusqu’à la fin du mois de mars.
Avec le projet de réforme tel qu’il a été annoncé, elle pense qu’elle devra partir à la retraite après 67 ans, à moins d’avoir une retraite de 500 €.
Si Claude manifeste, c’est parce qu’elle sait que les femmes sont toutes concernées par la réforme. « Nous avons tous des parents, des frères, des sœurs, des enfants qui paieront le prix. Mon père travaille dans le BTP et ma mère dans la conduite de bus. A 62 et 58 ans, ils sont en invalidité. Alors, quand j’entends Gérald Darmanin parler de négation du travail ou de paresse, je suis dégoûtée. » La future sexagénaire affirme qu’autour d’elle, il n’y a aucun feignant. Il y a seulement des gens qui bossent dur, maintient-elle.
« J’ai commencé à travailler tard et j’ai eu 4 enfants. Quand j’ai voulu faire la simulation sur internet, ça moulinait dans le vide. Je crois que ça faisait trop, même pour le simulateur… »
Claude