Arrivé en France depuis quelques mois, Yao* vit dans un ancien EHPAD toulousain avec une centaine d’autre mineurs. La vie est difficile aux Tourelles, mais pas de quoi décourager ce jeune homme plein d’énergie et d’ambition.
« On nous traite comme des animaux, s’exclame-t-il en fronçant les sourcils. Certains dorment comme ça ! » Il attrape un bout de tissu qui traînait par-là, le dépose par terre et se couche dessus. « On nous traite comme ça parce qu’on est Noirs », poursuit-il, hésitant. Il se ravise : « On nous traite comme ça parce qu’on est Noirs et pas Français. Parce que les Français, on ne les laisse pas vivre dans ces conditions ».
Yao a quinze ans. Immigré Malien, il est arrivé en France il y a quelques mois. Assis sur un banc de musculation, au fond d’une salle froide, il refuse de confier tout son parcours, mais laisse traîner quelques bribes d’informations. Il a passé quelques mois en Espagne, mais la langue est trop difficile à apprendre. « Comme la France a colonisé le Mali, beaucoup de Maliens parlent français, alors c’est plus facile » bredouille-t-il. Arrivé à Toulouse, il trouve refuge dans les locaux de l’Ehpad des Tourelles – fournis par la mairie – avec une centaine d’autres mineurs isolés.
Située au bord du périphérique toulousain, cette ancienne maison de retraite médicalisée est bien équipée. Pourtant, plus rien ne marche. Une seule machine à laver fonctionne pour une centaine de jeunes. Le chauffage n’est pas présent partout et certaines fenêtres ne ferment plus. A raison d’un repas par jour, la mairie et les banques alimentaires viennent ravitailler le garde-manger.
Step by step
Chaque jour, des bénévoles viennent donner des cours aux jeunes migrants. « Moi, je n’assiste pas au cours de français parce que j’étais à l’école ce matin », clame fièrement Yao. Le jeune malien vient d’intégrer une classe de quatrième dans un établissement de Toulouse. Pour y aller, il quitte l’EHPAD des Tourelles à six heures du matin, prend le bus jusqu’aux Arènes, puis le métro jusqu’à Jolimont et marche enfin jusqu’à son collège. « Regarde, c’est un de mes amis de l’école », dit-il en montrant fièrement son fond d’écran sur lequel il pose avec un autre collégien. Pour l’heure, ce garçon au sourire malicieux ne se projette pas dans une profession. « Je veux déjà finir mes études et après, on verra », raille-t-il en regardant l’horizon. Il le sait, le chemin risque d’être semé d’embûches.
« Le soir, quand tout le monde est tranquille, je mets ma musique et je fais du sport » dit-il le sourire aux lèvres. Assis sur un banc dehors, son maillot de foot d’un blanc immaculé laisse transparaître ses muscles qu’il contracte pour se réchauffer. Ce week-end, les jeunes ont participé à un tournoi de foot anti-raciste et ont ramené deux coupes. Sur son téléphone, il repasse les vidéos de ce moment où les spectateurs, fumigènes et banderoles à la main, criaient des slogans à l’effigie des sans-papiers.
Quinze ans et référent
En l’absence du référent titulaire, c’est à Yao que l’on s’adresse s’il y a un problème. Justement, la sonnerie de son téléphone retentit. C’est l’association Médecins du Monde qui l’appelle. Il hausse rapidement la voix, excédé : « Ça fait deux jours qu’Assane* est malade ! Il vomit dès qu’il mange quoi que ce soit ». Ils échangent pendant plusieurs minutes, le jeune homme fait les cent pas, inquiet. Yao raccroche et souffle un grand coup, comme pour faire redescendre la pression.
Les relations entre les jeunes et la mairie sont difficiles. Le doute plane quant au temps qu’il leur reste dans ces locaux. Ces derniers vont être rénovés pour accueillir un centre maternel. La trêve hivernale est censée les protéger jusqu’en avril. Malheureusement, ils ont reçu un courrier leur demandant de quitter les lieux d’ici le 7 février 2022. « J’ai peur de la Mairie » murmure Yao, aussi vaillant soit-il. « Nous, on ne veut pas être séparés, on veut rester ensemble. Si on est séparés, qui va nous faire les cours ? On préfère aller dehors tous ensemble qu’être dispersés » soutient le petit homme, la mâchoire tendue. « Demain, les huissiers vont revenir pour constater que les jeunes ne sont pas partis. Ils pourront ensuite lancer une procédure juridique afin de préparer l’expulsion pour la fin de la trêve hivernale » explique Tarek. Où vont-ils aller ensuite ? On ne sait pas.
*Tous les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat de chacun.