La porte du 36 rue Roquelaine était ouverte à tous, lundi 7 février, à partir de 19h30. L’association Droit Au Logement 31 (DAL31) y organise régulièrement des commissions pour prendre les décisions relatives à leurs actions. Des réunions toujours animées.
20h13, extinction des feux. Dans l’immense bâtisse du 36 rue Roquelaine, ancien centre des impôts devenu foyer pour cinq familles n’ayant pas accès au logement, les plombs ont encore sauté. Dans l’assemblée, personne ne réagit. « C’est normal, ça arrive souvent », s’exclame un membre du DAL31, méconnaissable dans l’obscurité. Ça arrive souvent, en effet, parce que le compteur électrique n’est pas fait pour subvenir aux besoins en chauffage d’autant de monde. Ne vous imaginez pas un open space cosy chauffé à 22°C. Ici, on s’efforce plutôt de garder un minimum de chaleur pour surmonter les affres de l’hiver. La trentaine de bénévoles réunis ce soir a deux objectifs : préparer la Journée européenne pour le droit au logement du 26 mars 2022, mais aussi les suites de l’expulsion des occupant.e.s « du 36 », prévue pour la fin juin.
Gentrification tout public
Après un tour de table de circonstance, pour présenter les nouveaux et les nouvelles aux ancien.ne.s, et vice versa, la réunion s’anime. Ou plutôt, la discussion à propos des sujets qui seront mis au débat le 26 mars. Ce qui, inévitablement, provoque le débat. Les esprits s’échauffent sur certains sujets. « Je pense qu’il faudrait axer le premier débat sur la question de la gentrification », s’engage une nouvelle. « Je pense que c’est peut-être un terme et un sujet un peu vaste, ça ne parlera pas forcément aux gens sous forme de débat. Il vaudrait peut-être mieux le faire sous forme d’atelier », renchérit un des participants. Laurence, qui anime cette commission, tranche : « Je vais vous mettre d’accord, on peut tout à fait faire ça sous forme d’exposition de photos, pour montrer visuellement ce que c’est la gentrification et que ça parle à tout le monde. »
Pour prendre la parole, chacun.e lève la main, comme sur les bancs de l’école. Si l’idée peut prêter à rire, force est de constater l’efficacité de cette méthode. Des militants de la première heure aux nouveaux arrivants, chacun se regarde en égal. Toute idée est bonne à prendre, l’essentiel est que l’ordre du jour soit respecté. Toujours sous l’œil bienveillant et pédagogue de Laurence qui se mue, un peu malgré elle, en arbitre des débats.
« Je ne reconnais pas ma ville »
Il y a aussi des interventions plus personnelles, à la limite du ressenti. « Je suis Toulousain de naissance et ça fait un petit moment que je suis parti de la ville. J’essaye de revenir et je ne m’y retrouve pas, je ne reconnais pas ma ville. Quand je viens, je ne suis pas à l’aise, je ne suis pas bien. Il n’y a plus ce côté festif, y’a plus les bars, les concerts, toutes les activités qu’on pouvait trouver en traversant simplement la ville avant », souffle un militant d’ANV-COP21. « Ça c’est la volonté de Jean-Luc Moudenc de faire de Toulouse une ville de tourisme d’affaire, il l’a clairement dit… », souffle la bénévole aux cheveux grisonnants.
On parle des acteurs politiques du bout des lèvres, avec une méfiance affichée. « On pourrait essayer d’inviter un élu mais ce n’est pas sûr que quelqu’un accepte de venir se faire défoncer pendant une heure et demie pour qu’on lui explique qu’il fait n’importe quoi sur la question du logement », analyse Roland, trentenaire et bénévole exalté de l’association. « Il faut faire attention à qui on invite, car les politiques ont une capacité à retourner la situation et fermer le débat qui peut complètement nous bloquer », clame à son tour un participant.
Le Droit au Logement prévoit les choses en grand. Le 26 mars 2022, une enclave au bord de la Garonne – non loin du Port Viguerie – sera le théâtre de débats et de divertissements en tout genre, avec la dévotion en toile de fond. Entre un food truck, une buvette et quelques concerts, deux grands débats seront organisés, entre 16h et 18h30. Au programme, rénovation urbaine et gentrification avec comme exemple le quartier de la Reynerie, puis le mal-logement et/ou l’encadrement des loyers (plus de détails seront donnés dans les semaines à venir).
On se dit rendez-vous dans 15 jours
En parallèle, sur une petite table, un comité restreint planche sur l’autre question brûlante du jour : comment envisager l’expulsion des familles « du 36 », qui plane comme une épée de Damoclès sur les bénévoles du DAL31. Une discussion à bâtons rompus, au ton quasi-solennel, à laquelle nous autres journalistes ne sommes pas conviés. « Ce n’est pas une manière de vous exclure du tout, simplement ça nous semble plus technique et peut-être moins compréhensible », rassure un bénévole. Après presque deux heures d’échange, ils semblent avoir bien avancé sur la question. La mythique bande-son de Jurassic Park signée John Williams vient signifier que les cerveaux ont fini de chauffer, et que la décompression est de mise. Il est 21h20, les deux commissions échangent le bilan de leur soirée, pour tenir tout le monde informé, et chacun plie bagage. Rendez-vous dans deux semaines pour une nouvelle assemblée. Pour les familles, c’est le début d’une nouvelle nuit d’hébergement précaire, mais salvateur, alors que la préfecture s’avère incapable de loger dignement ses concitoyen.ne.s. Pour ce soir, les débats sont finis. Demain, le combat continue.