Hier, plus de 40% des salariés d’EDF étaient en grève. Ils accusent l’État d’obliger leur entreprise à vendre plus d’électricité à prix cassés à ses propres concurrents. Un système jugé déloyal et absurde, deux syndiqués Grenoblois témoignent.
La grogne monte chez les salariés d’EDF. L’État, actionnaire majoritaire de l’entreprise, vient d’ordonner le mercredi 26 janvier 2022 au fournisseur de vendre davantage d’électricité à prix réduit à tous ses concurrents. L’objectif annoncé, limiter à 4% l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité pour le reste de l’année. En interne, l’ordre a du mal à passer. Jugé comme solution de court terme, ou comme simple coup de communication, l’entreprise entend bien faire valoir son avis. Hier encore, ils étaient 40% à faire grève à travers toute la France.
Jean-Baptiste Gassin, responsable d’une unité ingénierie à Grenoble, et Philippe André, responsable syndical* en faisait partie. Pour eux, la démarche est absurde, la finalité peu efficace.
Pourquoi faire grève ?
« J’ai décidé de faire grève suite aux appels des syndicats. Ce choix a été adopté à hauteur de 40% à échelle nationale. Selon nous, le gouvernement favorise la concurrence de manière disproportionnée. Cette décision gouvernementale est démagogique. C’est une forme d’acte de séduction à l’approche des élections. C’est une solution « court termiste », qui oublie le problème de fond. De plus, notre syndicat a montré qu’avec l’inflation, on est en diminution d’effectifs. La perte annoncée de 8 milliards suite à ces mesures ne va pas aider, c’était important de se mobiliser ». explique Jean-Baptiste Gassin.
P.A : Aujourd’hui, avec la loi NOME (AREMH), nous passons de 100 TW à 120 TW sur 400 produits par EDF. Ces 20 TW en plus on s’en fout, mais faut remettre en question ces 25 ans d’absurdité. Donc cette nouvelle annonce n’est pas forcément une surprise. La république en marche a un projet depuis longtemps pour passer à 150 TW fourni pour les concurrents, à bas prix, complète Philippe André.
Quelles sont vos revendications ?
P.A : Nous souhaitons la juste répartition des richesses. Elle doit d’abord toucher les usagers, c’est pourquoi nous demandons la gratuité pour les 1er KW vitaux. Il faudrait aussi revenir à un monopole public pour que les factures ne varient plus.
Les demandes du syndicat (datant de 2018, toujours actuelles)
• Arrêt du processus en cours de mise en concurrence des concessions, par une prise de position claire, ferme et argumentée du Gouvernement Français face à la Commission Européenne ;
• Élaboration d’une régulation du secteur pour retrouver une viabilité économique pérenne de long terme, seule à même de garantir les investissements nécessaires notamment à la sûreté des barrages, à l’opposé du « jeu de la marchande » d’un marché dérégulé et fragmenté ;
• Formulation des objectifs collectifs non économiques liés à ces aménagements : multi-usages de l’eau, protection contre les crues, etc. pour construire le cadre législatif et réglementaire complet d’un Service Public de l’Eau et de l’Électricité, s’appuyant sur une Autorité de contrôle et de régulation indépendante
• Association des citoyens, collectivités et élus à la gestion d’EDF, pour réaffirmer les objectifs collectifs de sa gestion, à l’opposé du pilotage financiarisé, hors du contrôle des citoyen·ne·s et des salarié·e·s, qui dernièrement s’est accentué à EDF ; cela peut passer par un contrat de service public, avec des objectifs clairs et contrôlables.
• Ré-intégration des ouvrages et des personnels de la CNR et de la SHEM, pour garantir la cohérence de la gestion de l’eau et de l’énergie sur un fleuve aussi vital que le Rhône
Pourquoi EDF est-elle obligée de vendre de l’énergie à ses concurrents ?
J.G : On s’est aperçu que les autres services ne pouvaient pas créer d’énergie par eux même (hors renouvelable). Une envie d’équilibrer les offres pour éviter un monopole a donc été mise en place. Ainsi, EDF est dans l’obligation de revendre une partie de sa production à la concurrence. Et c’est ce partage qui est inégal est compliqué à établir. Le prix est déterminé par la dernière centrale appelée**, ce qui fait que l’ouverture à la concurrence ainsi que la multiplication des achats internationaux, ont lourdement complexifié le fonctionnement du système. On en vient à acheter une énergie que l’on peut produire, c’est dur à concevoir. C’est en grande partie à cause de la Loi NOME, qui oblige EDF à vendre ¼ de sa production nucléaire.
De faits, existent-ils des garanties pour vérifier que les concurrents d’EDF n’augmentent pas leur prix ?
J.G : Officiellement, c’est la CRE (commission de la régulation de l’énergie) qui est censée veiller sur le bon fonctionnement du marché. Et dans notre situation, s’assurer que les réductions de coûts permises à nos concurrents permettent réellement d’assurer une stabilité des prix. Mais en réalité, nous ne sommes sûrs de rien. Aucun rapport ne nous est communiqué, ni aucune étude. Et les plaintes de certains foyers ne semblent pas s’aligner avec les promesses avancées.
P.A : Pour le gouvernement, la mise en concurrence devrait faire baisser les prix. Mais en réalité les fournisseurs ne servent à rien, ils achètent à prix bas et revendent quand les cours sont hauts. Pour concurrencer EDF, il n’y a même pas besoin d’être un expert dans le domaine, c’est système déloyal
Quelles sont les solutions possibles comme alternatives à celles du gouvernement ?
J.G : Tout dépend de la temporalité. À long terme, c’est le fonctionnement structurel global qu’il faudrait revoir. En ce moment par exemple, en période d’hiver, nous sommes obligés d’acheter à des centrales étrangères au gaz, ce sont les plus chères. Le prix de l’électricité est défini par le prix du gaz, donc gaz haut, prix haut. il ne faudrait pas que ces rapports internationaux existent. En France, nous avons la chance de pouvoir créer notre propre électricité (hydraulique, nucléaire et renouvelable majoritairement), il faut penser à une organisation capable d’utiliser cette richesse à bon escient. Il faut revenir à quelque chose de beaucoup plus régulé pour apaiser les prix sur la durée. Si l’on pense court terme, l’on peut penser à agir sur la TVA, adapter les factures entre ménages et entreprises. Faire payer peu voir rien aux besoins vitaux, et réclamer aux plus entreprises les plus gourmandes. Enfin, nationaliser EDF pourrait être une solution, mais il faut garder en tête que cela ne réglera pas tout, l’électricité est un produit à part, il faut s’attaquer à son marché pour la réformer au mieux.
*les deux représentants de l’entreprise interviewé sont syndiqués chez SUD-ÉNERGIE.
**à chaque instant il faut qu’il y est autant d’énergie produite que consommée.
Pour aller plus loin en vidéo :