À Toulouse, les personnes aux cheveux frisés et crépus sont délaissées. Très peu de coiffeurs en salon sont formés à travailler sur ces textures, en raison de la culture du lissage. Pourtant le souhait d’un cheveu naturel grandit.
« Il y a très clairement une méconnaissance du cheveu afro et pas vraiment de volonté de le connaître », affirme Manuela, 21 ans. Celle qui raconte avoir toujours subi des discriminations vis-à-vis de ses cheveux ne comprends pas pourquoi les coiffeurs ne sont pas compétents. « Quand je vais dans un salon européen pour un simple shampoing, c’est très gênant, explique la jeune femme. On me pose des tonnes de questions déplacées, les coiffeuses sont perplexes en me regardant, elles paniquent et elles sont deux rien que pour me démêler les cheveux, … ça attire l’attention ».
Ce genre de mésaventures, Manuela est malheureusement loin d’être la seule à en vivre. Gladys, 39 ans, vit à Toulouse depuis 17 ans. Il y a 10 ans, elle est allée pour la dernière fois chez un coiffeur. Et pour cause, cela s’est très mal passé pour la Martiniquaise : « J’avais juste demandé une coupe, un carré plongeant, au final la coiffeuse m’a fait un défrisage. Je l’ai découvert sur le moment et elle m’a dit que cette coupe n’était pas réalisable avec mes cheveux. J’étais dégoûtée et je n’ai plus su me coiffer par la suite. J’ai dû laisser pousser mes cheveux pendant plusieurs années ».
Des formations non inclusives
Les passages dans un salon, censés être relaxants, se transforment finalement en cauchemar. La raison ? Les formations comprenant des cours sur les cheveux crépus et frisés sont rarissimes dans l’hexagone. Même les programmes de l’Education Nationale n’abordent pas tous les types de chevelure. Toulouse n’est pas une exception, puisque sur les nombreux établissements contactés, un seul a déclaré proposer un apprentissage « multitextures ».
Il s’agit du groupe Jean-Claude Aubry, dont font partie les salons « Coiffure du Monde ». « Cela fait 25 ans que la marque existe, raconte Cécile Marchal, directrice de la formation métier du groupe. À l’époque, c’était très novateur, car autant aujourd’hui le cheveu frisé est démocratisé, autant avant c’était plus tabou. Il y avait des salons afro avec des femmes qui avaient appris elles-mêmes à coiffer et nous, on a voulu leur apporter une professionnalisation« . Cette professionnalisation a tout de même un coût : à partir de 1500 euros pour une formation de six mois.
Le prix, c’est ce qui a rapidement démotivé Adjoua à poursuivre ses études au sein de ce groupe. La femme de 48 ans a été formée en Afrique et pratique le tressage depuis 7 ans à Toulouse. Elle rêve d’apprendre les techniques de coupe sur cheveux naturels et d’ouvrir son salon de coiffure afro, mais elle n’en a pas le droit dans l’état actuel des choses.
En effet, en France, pour ouvrir un salon de coiffure, il faut détenir un des diplômes obligatoires. Or aucun d’entre eux n’inclut une formation au cheveux crépus/frisés. « C’est là où est l’injustice, commence Adjoua. Si je veux m’installer pour m’occuper uniquement des cheveux crépus, on me demande d’avoir un CAP ou un BEP qui ne me formeront pas à travailler avec ce type de cheveux. La loi condamne ce qui est afro« , souffle-t-elle.
Il existe plusieurs dizaines de salons spécialisées à Toulouse. Malgré cela, rares sont ceux qui proposent de travailler les cheveux sans les transformer (tresses, tissage, perruque, etc).
De plus en plus de demandes
Ce manque de considération envers les cheveux frisés/crépus persiste malgré une forte demande. Le hashtag #curlyhair est d’ailleurs une manifestation de ces nouvelles exigences. « Il y a une dynamique de mettre le cheveux naturel en valeur« , explique la directrice de formation métier du groupe Jean-Claude Aubry.
Rachnie, 22 ans, constate aussi ce besoin grandissant. L’étudiante tient deux comptes Instagram sous le nom de « Poussey._ » (5000 abonnés) et « Wassi.uwm » (1300 abonnés) où elle montre comment elle entretient sa longue chevelure frisée. Récemment, elle s’est lancée sur le réseaux social Tik Tok. Un véritable succès, révélateur, puisque 15 000 personnes la suive et que l’une de ses premières vidéos comptabilise plus d’un million de vues. « Je voulais désacraliser le fait de se couper les cheveux. J’ai montré comment je coupais les pointes d’une personne et ça a marché », rigole-t-elle.
Pourtant, la jeune femme n’a jamais fait de formation. Tout ce qu’elle sait, elle l’a appris grâce à ses recherches personnelles. Rachnie aime transmettre ses connaissances aux quelques privilégiés qu’elle coiffe : « Quand je reçois des clients je suis plus en train d’éduquer que de faire des soins. Je ne suis pas une professionnelle, je ne prétend pas l’être, mais les personnes que je coiffe voient une forme d’expertise en moi ».
Il y a 7 mois, l’étudiante avait même sorti ses propres produits, confectionnés dans sa cuisine. Le premier mois, elle a gagné 700 euros pour un produit moyennant les 15 euros. Voyant l’ampleur de la demande, elle a provisoirement arrêté les ventes pour pouvoir se professionnaliser.
Pour Manuela, les grandes surfaces auraient justement tout à gagner à proposer des produits capillaires adaptés à tous. « On est une grosse clientèle », affirme-t-elle. Cette absence de produits a été d’autant plus marquante lors du premier confinement pour la Franco-Ivoirienne. « Si les magasins afro où on vend des shampoings et masques adaptés sont considérés comme non essentiels, comment je peux faire ? C’est discriminatoire et dommage dans un pays mixte comme la France« , conclut-elle.