Être Franc-Maçon, entre fantasmes et réalité

Il plane au-dessus de la Franc-Maçonnerie un voile sombre. Tissé de mythes et de légendes, il fait écho à une incompréhension générale des rites et pratiques maçonniques. Souvent pensés comme maîtres du monde, les frères -comme ils s’appellent entre eux-, n’empruntent aux idées reçues que leur discrétion. Philippe a 61 ans et une carrière vieille de 30 ans dans la Franc-Maçonnerie. Et pourtant, ce monsieur-tout-le-monde n’en laisse pas échapper le soupçon.

Il plane au-dessus de la Franc-Maçonnerie un voile sombre. Tissé de mythes et de légendes, il fait écho à une incompréhension générale des rites et pratiques maçonniques. Souvent pensés comme maîtres du monde, les frères -comme ils s’appellent entre eux-, n’empruntent aux idées reçues que leur discrétion. Philippe a 61 ans et une carrière vieille de 30 ans dans la Franc-Maçonnerie. Et pourtant, ce monsieur-tout-le-monde n’en laisse pas échapper le soupçon. 

Livre dans une main et crayon à papier dans l’autre. Il est à peine 15h, mais les après-midis sont longs pour cet informaticien confiné. Alors pour tuer le temps, il passe en revue ses ouvrages préférés en y ajoutant quelques commentaires. Philippe, dont les traits juvéniles masquent la soixantaine, se passionne pour la littérature. À tel point que romans et essais philosophiques tapissent les murs de sa maisonnette, en banlieue toulousaine. Mais lorsqu’on est attentif, on remarque qu’entre La vengeance du pardon, d’Eric-Emmanuel Schmitt et Mythologie et philosophie, de Luc Ferry, se sont glissés d’étranges titres. L’abécédaire de la Franc-Maçonnerie, La symbolique maçonnique, ou encore plus surprenant, La Franc-Maçonnerie pour les nuls.

Entrer dans une confrérie sélective 

C’est à l’âge de 30 ans qu’il rejoint la Franc-Maçonnerie. Alors marié et père d’une première petite fille, il aspirait à la parfaite famille nucléaire. Issu d’un milieu social bourgeois, Philippe C. a grandi dans la campagne landaise. De son éducation, il en retient les valeurs militaires de son père, officier et la soif d’apprendre de sa mère, enseignante. Lorsqu’il évoque son passé, le regard de Philippe se teint de nostalgie. Alors, lorsque les mots ne suffisent plus, il s’exprime avec des gestes.

Initié au jeune âge de 31 ans, c’est son ami Alain, lui-même Franc-Maçon depuis 15 ans, qui l’a coopté. C’est ainsi qu’il présenta Philippe à la loge du Grand Orient de France de Mont-de-Marsan. Selon son ami, il portait en son sein toutes les valeurs que représente la Franc-Maçonnerie.

La Franc-Maçonnerie est un cercle de sociabilité discret et basé sur
la fraternité. Les membres y sont “cooptés” (recrutés) et se doivent de respecter un rite initiatique précis. C’est un groupe de pensée qui permet de débattre de sujets sociaux qui marquent l’actualité.

Les Franc-Maçons se rassemblent autour de valeurs communes : la laïcité, le progrès et l’humanisme, parmi tant d’autres. Les loges maçonniques se regroupent en obédiences. Les 3 plus connues de notre pays étant le Grand Orient, la Grande Loge, et le Droit Humain. On estime, en France, qu’il y aurait environ 140.000 Franc-Maçons, puisque les adhérents choisissent de conserver leur discrétion.

L’initiation de Philippe l’a marqué à vie. « C’est quelque chose de très symbolique et solennel qui est difficile à décrire. C’est un travail sur soi intense qui pousse à une réflexion très intime » admet-t-il, à demi-mots. Une expérience unique qu’il a partagé avec son épouse, Myriam. Dans l’ombre de son mari, elle observe d’un œil discret ses activités maçonniques. Ils n’en conversent pourtant jamais, Philippe gardant sous le sceau du secret les discussions évoquées dans sa loge.

Ce qu’il aime par-dessus tout dans ses activités de Franc-Maçon, ce sont les discussions. Deux fois par mois, ils se réunissent et présentent des “travaux”, qui sont des exposés et débats gravitant autour de divers problèmes de société. Motivé par des valeurs progressistes, Philippe gravit les échelons maçonniques avant de devenir Maître en 1997. 

Un secret partagé

Quelques années plus tard, il divorce de sa première femme, avant de rencontrer Anne, son épouse depuis maintenant 20 ans. Psychologue de métier, elle se passionne elle aussi pour la littérature et la philosophie. « Nos idées peuvent parfois diverger, mais elles donnent toujours lieu à des débats enrichissants », confie-t-elle. Lorsque son mari lui a dévoilé son appartenance à la Franc-Maçonnerie, Anne n’était pas vraiment surprise. « Je m’étais déjà renseigné sur ce qu’était cette confrérie avant même de rencontrer Philippe. C’est pour ça que je m’en doutais un peu. »

Mais pour la jeune adolescente du couple, les enjeux étaient moins évidents. « Un jour, je fouinais dans les placards de mes parents, et je suis tombée sur une boîte qui contenait des attributs de cérémonie de Franc-Maçon », se souvient Agathe. « J’étais encore petite, je devais avoir 13 ou 14 ans et je me rappelle avoir immédiatement pensé que mon père était dans une secte ». Philippe s’amuse aujourd’hui de ce souvenir, mais à l’époque, il avait dû lutter avec sa fille pour lui expliquer les choses. Il lui a d’abord offert un livre, La Franc-Maçonnerie pour les nuls. Puis s’en sont suivi de longues discussions lors desquelles il répondait à toutes ses questions. Ce secret auquel étaient soumis les Franc-Maçon hante, aujourd’hui encore, les mémoires collectives et la discrétion des frères alimente toujours les plus fantasques des croyances.

“Nous sommes une société discrète, mais pas secrète”

Pour Philippe, il n’est pas question d’une élite surpuissante qui serait la marionnettiste d’un gouvernement trop crédule. « Les Franc-Maçons sont des gens comme vous et moi. Il existe différentes obédiences mais les adhérents sont loin des fantasmes du public. Nous sommes une société discrète, mais pas secrète et qui ne se réunit pas pour comploter mais pour tenter d’œuvrer pour le progrès de l’humanité. »

Il n’est d’ailleurs pas rare que les grandes obédiences de la Franc-Maçonnerie organisent des salons et des conférences pour permettre à tous de connaître et comprendre ce monde qui fascine. Philippe, qui lui a fait le choix de l’anonymat, salue de bon augure ses frères qui ont choisi d’exposer leur appartenance. « Je n’ai pas fait le choix de m’afficher publiquement en tant que Franc-Maçon, mais quand je vois l’impact positif de ces salons et les mœurs qui changent petit à petit face à nos activités, ça me donne envie d’y participer. » 

Le chemin est encore long avant que l’opinion publique ne délaisse son amour pour les théories du complot. Philippe et ses frères continuent de mettre tout en œuvre pour casser le mythe autour de la Franc-Maçonnerie et ne plus être perçus comme marginaux. 

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