Manon Enjalric est étudiante en troisième année de cinéma. Elle assume depuis maintenant trois ans ses préférences romantiques. Elle est polyamoureuse et bisexuelle. Capable de développer des sentiments, à des intensités variées, pour différentes personnes à la fois. Elle a directement été confrontée à la vision normée du couple traditionnel, hétérosexuel et exclusif.
Dans sa chambre, assise à son bureau, entre quatre murs couverts de posters et photos d’elle avec ses proches. Manon confesse qu’elle n’a pas toujours su mettre un nom sur ce qu’elle ressent. La capacité à développer des sentiments pour différentes personnes simultanément. Elle a découvert il y a près de 3 ans la signification du polyamour. « Mon ex, partenaire à l’époque, m’en a parlé pour la première fois. Je ne savais pas que ça existait, mais je m’y suis retrouvée. » Avant cela, « je m’adaptais à ce que les gens voulaient de moi et pas à ce que je ressentais ou voulais ». Elle pensait n’être pas prête ou faite pour une relation sérieuse. Un paradoxe a commencé à s’élaborer : seules les relations libres non sérieuses correspondaient à ses sentiments alors qu’elle s’attachait beaucoup et vite. La découverte du polyamour l’a aidé et permis d’adapter ses relations à ses besoins.
Le polyamour est comme une orientation romantique, ce n’est pas un choix. Ce sont des besoins et des sentiments, envers différentes personnes, et personne ne le vit de la même manière. Depuis cette découverte, Manon a également vécu son polyamour de différentes manières. En exclusivité, en couple libre ou sans étiquette, avec des hommes, avec des femmes. Elle a finalement trouvé les situations romantiques les plus compatibles avec sa manière d’aimer : les relations libres sérieuses. Car oui, les relations libres peuvent être un engagement, soit il peut y avoir « l’amour fou, mais en voyant d’autres personnes. Il n’y a pas de problème d’infidélité ou de possessivité : on sait que l’autre va voir ailleurs. Il suffit juste d’avoir confiance en les sentiments de l’autre. Et ça rend le couple beaucoup plus simple ». Manon est actuellement en relation exclusive avec son copain, rencontré lors du premier confinement. Si le polyamour consiste à avoir des sentiments pour plusieurs personnes à la fois, ça ne signifie pas que c’est toujours le cas.
Se trouver en trouvant les autres comme soi
Manon a trouvé difficile de se renseigner et de qualifier ses émotions, la notion de polyamour étant peu véhiculée. Le terme polyamour n’est d’ailleurs pas dans la plupart des dictionnaires. Un élément est donc nécessaire dans la recherche de son identité : les autres comme soi. Les échanges, l’identification, le partage. Le fait de se fier à quelqu’un qui comprend « ça m’a aidé à m’accepter ». Elle a rencontré Lilou Diane en janvier dernier, une amie proche avec qui elle a une relation sans étiquette. « Entre nous le sujet est venu naturellement, on parlait de nos relations, on se posait, et on se pose encore aujourd’hui, les mêmes questions, confie Lilou. On se ressemble énormément sur nos orientations. Ma réaction a été « j’ai trouvé une personne comme moi ! C’est trop bien ! » J’étais super heureuse ». Selon elle, l’importance de s’identifier à des gens comme soi est là : cela aide à se construire et à se questionner, ensemble.
Car le couple libre, l’amour “à plusieurs”, est mal vu, car inadéquat avec la vision traditionnelle du couple exclusif hétérosexuel. Ce qui peut engendrer des incompréhensions et des écarts au sein des relations. « En général, j’en parle à mes partenaires, je leur explique ce qu’est le polyamour de manière rassurante. Mais quand je commence à voir d’autres gens, ils ne sont plus d’accord. Alors que je leur avais dit de bien réfléchir avant de s’engager. Et au fur et à mesure il y a une forme d’auto-censure qui naît. Des fois, j’ai du mal à en parler alors qu’il faut être honnête ». À 20 ans, Manon assume maintenant complètement ses préférences amoureuses. Elle en a beaucoup parlé à son amie de 5 ans, Ikram Benzama. « Elle m’a apporté une nouvelle vision, plus complexe et ouverte, du couple, commence-t-elle. Je me suis moi-même identifiée comme asexuelle après avoir découvert qu’il y avait des sexualités hors de la norme, différentes. Pour moi, il y a autant de définitions du couple que de couples. »
« Ce n’est pas normal de n’imposer qu’une seule vision du couple »
Selon Manon, ce qui pèse le plus, c’est les normes sociétales. « Les gens pensent que la relation libre ou sortir avec plusieurs personnes c’est malhonnête et infidèle. Au contraire, il y a plus de transparence. » Parmi les différentes idées reçues sur le polyamour : c’est de la polygamie, que c’est une phase, ou les polyamoureux sont ainsi pour avoir plus de choix de partenaires. Des incompréhensions nées, selon elle, du fait que les différentes versions possibles du couple ne sont pas enseignées ou discutées pendant l’éducation. « Ce n’est pas normal de n’imposer qu’une seule vision du couple. Le reste on n’en parle pas. C’est hypocrite de ne pas en parler au nom du tabou. » Son parcours en tant que polyamoureuse lui a appris la diversité, des personnes, des façons d’aimer, et la liberté d’aimer comme il lui convient. « La fidélité ça se choisit à deux. Moi ça me donne le choix de ne pas aller voir d’autres personnes. Pas qu’on me l’impose. »