Zoé Bodet a 22 ans, ne veut pas d’enfants et est déterminée à ne jamais en avoir. Un droit et non un devoir, que son père n’arrive pas à accepter et pour lequel elle milite à travers les réseaux sociaux.
Ses escarpins Rockabilly claquent sur le parquet de son appartement. Sa longue jupe jaune canari à pois noirs de seconde main détonne avec son haut noir sobre. Son piercing au-dessus de la lèvre supérieure est discret. Son trait de liner impeccable et ses taches de rousseur sur son nez et ses pommettes dessinent un visage harmonieux et doux. Zoé s’assoit sur sa chaise en bois, près de la fenêtre suivie par Naïade. Naïade c’est sa fille, enfin pas totalement, mais c’est tout comme. Naïade c’est le nom de son chat noir aux yeux jaunes. Elle ne lâche pas d’une semelle sa maîtresse et fêle dès qu’on s’en approche de trop près.
« Pour moi, le poison ce serait de procréer »
Plus empathique pour les animaux que pour ses congénères, Zoé ne cache pas son indifférence quand elle voit des bébés. « Ils ressemblent tous à des poulpes fripés ». Cette hostilité envers les enfants est présente depuis son enfance. Déjà petite, Zoé ne s’est jamais rêvée mère comme la plupart des enfants à son époque. En grandissant, la jeune femme avait même une aversion totale envers ces petits êtres. Pourtant, depuis la naissance de sa filleule qu’elle adore tant, cette répulsion a diminué. « Quand ma meilleure amie Charline m’a annoncé sa grossesse, j’ai versé des larmes à n’en plus finir, j’étais très heureuse », se souvient-elle émotive. Cependant, Charline était terrifiée à l’idée de lui avouer qu’elle essayait d’avoir un enfant, pensant que cette annonce allait briser leur amitié. « J’avais peur de sa réaction quand on était en essaie bébé avec mon compagnon, je l’ai caché. Mais dès que je lui ai dit, elle était ravie et m’a rassurée ». Zoé ne masque pas sa franchise pour autant quand elle regarde sa filleule. « La première chose que je lui ai dite c’est qu’elle avait un gros pif », plaisante-t-elle. Même si elle partage le bonheur de son amie, pas question de changer d’avis. La jeune femme a prit cette décision avec gravité. Durant son adolescence, Zoé s’est longtemps penchée sur la question, surtout au moment de prendre la pilule contraceptive. « Je me suis souvent demandée si je préférais m’empoisonner avec la pilule ou avoir un enfant et pour moi le poison ce serait de procréer ». Des mots violents qui font toujours écho à la jeune femme de 22 ans.
Ambitieuse, la jeune fleuriste a un objectif professionnel bien défini. Elle souhaite créer sa propre agence d’événementiel de mariage à l’international. Avec un baccalauréat des métiers de la mode et une licence en art plastique, Zoé est déterminée à atteindre son objectif. Un rêve irréalisable pour elle avec un enfant sur les bras. « Je stresse déjà pour ma vie, alors pour un enfant ? C’est juste pas possible ! », s’exclame-t-elle. Une angoisse grandissante depuis qu’elle a appris le mois dernier l’apparition d’une maladie chronique qui touche une femme sur dix : l’endométriose. 30 à 40 % des femmes rencontrent des difficultés à féconder selon EndoFrance. Pour Zoé, ne pas avoir d’enfant était une certitude, maintenant c’est absolu. « J’ai décidé bien avant que je n’aurai pas d’enfant et quand bien même j’en voudrai, ça va être la croix et la bannière pour procréer ». Mais son aspiration à conquérir le domaine de l’événementiel et sa santé fragile ne sont pas les seules raisons. Zoé est dans une démarche zéro déchet. Elle est végétarienne, ne voyage qu’en covoiturage et n’achète que des vêtements de seconde main. Et l’impact écologique d’un enfant n’est pas compatible avec son mode de vie. En effet, faire un enfant de moins permettrait à une personne d’éviter 58 tonnes de CO2 par an, selon une étude menée par des chercheurs de l’Université suédoise de Lund.
Une famille divisée par la question
La famille de Zoé est partagée sur le sujet. Contesté par certains, d’autres la soutiennent. C’est le cas de sa mère Laëtitia et de sa petite sœur de 17 ans, Lola. Pour la jeune femme, sa maman c’est sa confidente, son tout. Zoé l’a décrit comme une mère très protectrice mais qui ne dit jamais “ je t’aime ”. Quand elle lui a confié qu’elle ne désirait pas d’enfant, sa mère a été très compréhensive : « Son choix je le comprends ». Si Laëtitia avait eu le choix elle aussi, elle n’aurait jamais eu d’enfant.
« Son choix je le comprends »
« À l’époque, je ne me posais pas autant de questions que sa génération. Je suis persuadée que si j’avais l’âge de Zoé à cette époque, je n’aurai jamais eu mes filles ». Un conditionnement dans la jeunesse de sa mère qui a déterminé sa décision d’être mère. Une conception de la famille pas perçue de la même façon par les autres membres. Du côté de son père, Alain, le sujet est plus délicat. Grandi dans une famille d’une fratrie de quatre enfants, il est inconcevable pour lui que sa fille ne désire pas de descendance. « Mon père a toujours l’espoir que je change d’envie même s’ il dit accepter ma décision ». Zoé n’essaye plus d’aborder le sujet car son père est trop hermétique. Loin du modèle familial parfait, Zoé souhaite se rattacher à son propre concept de la famille : des bêtes poilues ou à écailles et mariée avec un homme.
L’importance de militer
Aujourd’hui, Zoé sait qui elle est. Elle se définit de nombreuses façons : childfree, tocophobe – la peur pathologique de la grossesse et de l’accouchement -, no bra – non port du soutien-gorge -, végétarienne, féministe et militante pour la protection des animaux et le droit à la non maternité. Membre de plusieurs groupes Facebook childfree, la jeune femme assume ses idées jusqu’au bout malgré les multiples insultes qu’elle reçoit toute la journée. « Je prends sur moi, j’argumente mais parfois il y a des mots qui blessent ». Que les reproches viennent de sa famille ou de parfaits inconnus, Zoé entend toujours la même chose. “ Tu es égoïste ” , “ tu n’es pas une femme accomplie ” ou encore “ tu ne penses pas aux femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants ”. Une très grande pression sociale s’impose aux personnes qui ne veulent pas d’enfants. Des questions d’ailleurs plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes et pas de la même nature. « Les femmes sont renvoyées à de l’ordre de l’incomplétude, à de l’égoïsme et à une vie sexuelle débridée », selon Auréline Cardoso, sociologue du genre. Pourtant, les stéréotypes sont moins négatifs que pour les hommes, perçus comme des victimes dans la thèse Le choix d’une vie sans enfant : des individus confrontés aux normes sociales et de genre de Charlotte Debest, docteure en sociologie.
« Je ne me sentirai jamais aussi femme que maintenant »
Avec l’accès à la contraception et l’avortement, avoir des enfants est désormais un choix, ce qui autrefois, n’était pas complètement possible. Tout d’abord, parce que les moyens de contraception n’existaient pas et puis aussi à cause du conditionnement social. Ce qui a ensuite entraîné une construction sociale : l’horloge biologique. Pour Auréline Cardoso, la pression sociale a créé cette idée que le corps lui-même déclenche une envie d’un bébé : « Statistiquement la fécondité diminue en moyenne après un certain âge et la représentation du bon âge pour avoir des enfants est entre 25 et 35 ans. À cette période là les femmes sont oppressées par l’idée de faire un bébé rapidement ». Malgré cette infatigable pression sociale, Zoé campe sur ses positions. Déterminée à affronter le regard des autres, les insultes et les blagues de mauvais goût. Parce que le plus important pour Zoé est de rester elle-même et d’assumer ses choix. « Je m’identifie comme une femme qui ne veut pas d’enfant et qui ne changera pas d’avis. Et je ne me sentirai jamais aussi femme que maintenant ».