Les Izards. Entre peur et intimité, l’étrange promiscuité des habitants avec les dealers

Le 16 septembre, une fusillade a éclaté rue des Chamois, dans le cœur du quartier des Izards. - Crédits : Emmanuel Clévenot
Au nord-est de Toulouse, dans le quartier des Izards, le trafic de drogue règne. Fusillades et assassinats témoignent des violences auxquelles se livrent les bandes rivales. Au milieu de cette guerre des gangs sans merci, les habitants continuent à vivre. Ils ont appris à cohabiter, malgré eux, avec dealers et guetteurs... quitte à parfois s'y attacher.

Au nord-est de Toulouse, dans le quartier des Izards, le trafic de drogue règne. Fusillades et assassinats témoignent des violences auxquelles se livrent les bandes rivales. Au milieu de cette guerre des gangs sans merci, les habitants continuent à vivre. Ils ont appris à cohabiter, malgré eux, avec dealers et guetteurs… quitte à parfois s’y attacher.

Les aiguilles de l’horloge pointent vers le ciel. Derrière les murs délabrés de l’école Ernest Renan, retentit la sonnerie. Les cris de joie des enfants l’accompagnent. Il est midi. Emmitouflée dans un long manteau beige, Nadine attend son plus jeune fils. Il a onze ans. “J’ai peur, oui. Peur qu’on s’en prenne à lui. Peur qu’il se laisse influencer”.

Il y a trois mois, le Premier ministre, Jean Castex se tenait là, sur le parvis de cette même école. Une visite ministérielle dans un quartier populaire en proie au trafic de drogue et aux règlements de compte. Le chef du gouvernement promet alors la mise en place de mesures spécifiques, avec notamment un renfort des forces de police. Dès lors, le quartier des Izards prend l’appellation de zone de “reconquête républicaine”.

La peur avant tout

“Rien n’a évolué, s’insurge Sylvie Zerbih, employée de mairie. Les dealers continuent leur trafic devant le portail, se baladent avec des armes à la main sous les yeux des enfants… Là-bas, il y a un petit raccourci que beaucoup d’élèves empruntent pour aller et venir à l’école, sauf qu’ils ont posté un point de vente exactement au même endroit”. Un Gilet jaune sur les épaules, elle avance au milieu du passage piéton, fait signe à une voiture de ralentir, et invite un petit garçon à traverser la route. “Le mois qui a suivi la visite de Monsieur Castex, on a vu beaucoup plus de policiers dans le quartier. Mais ça s’est vite estompé, lâche-t-elle d’un rire teinté d’agacement. C’était de la poudre aux yeux, histoire de faire bonne figure…”.

Françoise, elle, habite ici depuis près de cinquante ans. D’un pas lent mais assuré, elle avance, tirant derrière elle un chariot de courses. “Mon mari n’aime pas que j’emprunte ce raccourci. Les dealers sont toujours respectueux avec nous, presque polis… Mais ce qui nous fait peur, ce sont les fusillades !”. Cet été, six ont éclaté aux Izards. De jour comme de nuit. Des attaques parfois perpétrées au fusil d’assaut. Alors du côté des habitants, on s’inquiète des balles perdues.

Une supérette de la drogue sur le chemin de l’école

Au détour d’un petit chemin arboré, Françoise s’arrête. D’un côté, une vieille cité HLM noircie par les années. De l’autre, encore des logements sociaux, plus récents, modernes mais low-costs et donc probablement voués à devenir vétustes à leur tour. Entre les deux, le “raccourci de la drogue”. Celui-là même dont parlaient les parents d’élèves quelques minutes plus tôt. Aujourd’hui, aucun dealer en vue. Elle s’en réjouit, poursuit sa route et disparaît au loin.

Rassemblés dans l’ombrageux passage, les consommateurs sont eux au rendez-vous. Un, deux, trois… Ils sont bientôt une demi-douzaine, et les hypothèses vont bon train pour expliquer l’absence des vendeurs de produits stupéfiants. “Samedi, les Smiths sont passés. Ils ont dû faire un gros coup, marmonne un homme, camouflé sous la capuche de sa doudoune. C’est mort là, un guetteur serait déjà venu nous dire que ça allait arriver…”. À peine sa phrase terminée, un fourgon de police apparaît au bout du chemin. Trois hommes en descendent. “Pas de chance, aujourd’hui c’est fermé !”, s’exclame l’un d’eux, moqueur.

« Ce ne sont pas des garçons méchants »

Cent mètres seulement séparent ce point de deal d’une récente scène de crime. Celle du dernier règlement de compte mortel qu’ait vécu le quartier. C’était le soir du 10 août 2020, devant la station Trois-Cocus. Coiffée d’un bonnet rose tricoté à la main, Justine, une riveraine, témoigne : « J’étais en train de remonter les escaliers pour sortir du métro, lorsque j’ai entendu des coups de feu. Une fois dehors, j’ai compris qu’une fusillade avait éclaté. Un jeune était allongé là, criblé de balles », confie-t-elle, le doigt pointé en direction du bitume. Ce jeune, c’était Mohammed Eddairi. Quinze jours plus tard, il aurait soufflé sa vingt-et-unième bougie.

Le quartier des Izards ne s’arrête pourtant pas aux seules guerres de gangs. Il recèle quelque chose d’autre. De plus fort, d’inébranlable. La chaleur de ses habitants. L’entraide y est omniprésente. Les sourires, bien que cachés par les masques chirurgicaux, aussi. Même à l’égard des jeunes dealers, les propos sont souvent nuancés. « Ce ne sont pas des garçons méchants », concède une passante. « Pour être honnête, ils ne m’ont jamais vraiment dérangé », ajoute l’épicier du coin. Les uns semblent avoir appris à vivre avec les autres, et inversement. Mais cet équilibre se fait instable lorsque revient le sifflement des balles.

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