Un journaliste, peut-il faire du militantisme ? Le 24 heures s’est penché sur la question en interrogeant plusieurs journalistes. Suite à la polémique Taha Bouhafs, le débat militant a été relancé.
Peut-on être journaliste et militant ? Une chose est sûre d’un point de vue déontologique : rien n’oblige aux journalistes d’être totalement neutres et objectifs tant qu’ils arrivent à faire la part des choses. Pour revenir aux fondamentaux, Albert Londres les avait déjà très bien définis avec cette célèbre phrase « notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie ». Bien loin de la plume, aujourd’hui, ce sont plus les tweets qui laissent des traces. Dans le cas de Taha Bouhafs, le fait d’avoir informé de la présence du président Macron dans le théâtre des Bouffes du Nord sur son compte Twitter lui a coûté 48 heures de garde à vue.
Mais alors, pourquoi l’avoir traité de journaliste militant ? Le doute plane sur cette notion de militantisme, tant bien que personne ne sait réellement ce que cela signifie.
Comment être un journaliste militant ?
Depuis le mouvement des Gilets Jaunes, de nombreux journalistes sont apparus souvent engagés par leurs idées, ils sont considérés comme des militants. Cette polémique médiatique fait rage, depuis l’arrestation de plusieurs journalistes, mais aussi avec les rassemblements populaires qui montrent de nouvelles formes médiatiques, le journalisme militant. Romain Boyer, engagé dans plusieurs organisations politiques ou syndicalistes ne se considère pas journaliste : « je ne peux pas dire que je suis journaliste, je suis rapporteur de fait ». La définition reste semblable à celle du journalisme, mais dans ce cas précis elle ne signifie pas la même chose auprès du militant. « Je sais que je ne peux pas être totalement neutre, il y a certains cas dans lesquels je ne pourrais pas rester neutre et objectif ». Pour lui on ne peut pas être journaliste et militant à la fois « la façon de relater des faits en tant que journaliste, n’est pas la même que celle d’être militant ».
Militant du journalisme plutôt que journalisme militant
On peut être journaliste et faire des piges dans des médias avec des orientations politiques bien distinctes les unes des autres. Stéphane Thépot en est le parfait exemple, correspondant à Toulouse pour Libération et Le Point. Il se revendique militant du journalisme et rien d’autre. « J’ai longtemps réfléchi sur la question, aujourd’hui je me considère plus militant du journalisme que journaliste militant ». On ne peut pas faire deux choses à la fois, affirme-t-il, et pour appuyer son propos il prend l’exemple de la politique : « pour moi, on ne peut pas être journaliste et faire de la politique, il peut plus faire machine arrière, il ne peut pas revenir dans la profession ».
La garde à vue ? L’incompréhension
Taha Bouhafs a été en garde à vue pendant 48 heures après son arrestation. Valerie, journaliste à France 3 Occitanie, affirme « je ne suis pas son avocat, je n’ai pas assez étudié le dossier, cependant je ne suis pas sûr que ce soit son tweet qui soit à l’origine de la manifestation, à aucun moment il y a un appel à manifester, il dit seulement les faits ». Il poursuit son propos en disant qu’« avoir un journaliste en garde à vue ce n’est jamais bon, dans le cadre de son métier ». Que ce soit pour la liberté de la presse où la démocratie, ce n’est pas une bonne chose, un journaliste ne doit pas se retrouver en garde à vue, pourtant cela devient une habitude depuis le mouvement des Gilets Jaunes. Taha Bouhafs n’a pas été le seul à être en garde à vue, le 20 avril 2019 Gaspard Glanz était arrêté par la police pour avoir fait un doigt d’honneur aux forces de l’ordre. Un geste qu’il avait jugé inapproprié dans ce contexte hostile, le journaliste avait été condamné à payer une amende de 300 €.
Je suis actuellement au théâtre des bouffes du Nord (Métro La Chapelle)
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) January 17, 2020
3 rangées derrière le président de la république.
Des militants sont quelque part dans le coin et appelle tout le monde à rappliquer.
Quelque chose se prépare… la soirée risque d’être mouvementée. pic.twitter.com/0mfwQPwdzr
Un regard à l’étranger
Parle-t-on aussi de journalisme militant à l’étranger ? Frédéric Loore, journaliste d’investigation indépendant, raconte ce qu’il pense du militantisme en Belgique. « Un journaliste doit avoir une honnêteté et une loyauté totale, si on décide d’être militant, il faut le revendiquer, on doit assumer d’être journaliste et militant ». En Belgique, les médias ne sont pas tenus par des hommes d’affaires comme Martin Bouygues ou encore Bernard Arnault comme de nombreux journaux français. Frédéric l’affirme : « chez nous, ils appartiennent à des personnes qui sont là pour faire de l’influence, et non de l’argent ». Évidemment, nos confrères belges, sont aussi sous le feu de la critique «est-ce que les journalistes sont encore journalistes ? ». Cette interrogation ne les empêche pas de dormir, bien au contraire, par ailleurs Frederic Loore rejoint Stéphane Thépot sur un point en particulier, « avant d’être journaliste militant, il faut être militant de l’information et plus particulièrement de l’information de bonne qualité ».
Autrement dit, les reportages ou le travail journalistique resteront toujours les mêmes, que ce soit avec ou sans engagement militant. Les journalistes ne seront jamais totalement ni objectifs ni neutres, mais ils seront là pour porter la plume dans la plaie…