Le « féminisme » reste encore et toujours un gros mot auquel on n’associe pas de très belles idées et l’image de la femme agressive et hystérique n’est jamais loin. Grâce aux récentes affaires qui ont fait la une des médias, beaucoup de femmes influentes -ou pas- se sont fait les porte-paroles de messages féministes. La parole de milliers de femmes est libérée et le harcèlement, le sexisme et les inégalités hommes/femmes dénoncés. Alyssa Ahrabare, 23 ans, présidente et porte-parole d’« Osez le Féminisme 31 », fait partie de ces femmes qui ont choisi de se poser les bonnes questions, mais surtout de faire la déconstruction de tout ce que la société patriarcale dicte depuis des siècles. Le24Heures s’est entretenu avec cette militante.
- Pouvez-vous me parler d’Osez le Féminisme 31 ?
Nationalement, c’est une association qui a été reconnue de l’intérêt général, qui est membre du haut conseil pour l’égalité entre femmes et hommes et qui dispose d’une trentaine d’antennes un peu partout en France. À Toulouse, nous disposons d’un pôle « éducation » qui nous permet de développer des ateliers ainsi que des partenariats avec des lycées, des collèges et des écoles. Nous avons également le pôle « formation » qui nous permet de former du personnel d’autres associations, qui sont intéressés par les sujets féministes.
- Les « Femen » peignent des slogans sur leurs corps, « La Barbe » fait irruption dans des lieux de pouvoir en arborant des barbes postiches et en jouant sur la dérision… Quel est le mode d’action d’ »Osez le féminisme 31″ ?
La différence entre les « Femen » et « Osez le féminisme » c’est qu’elles sont extrémistes au sens étymologique du terme. « Osez le féminisme » est quant à elle une association radicale, au sens étymologique du terme, cela signifie que nous prenons le problème à la racine, nous sommes progressiste et luttons contre le patriarcat, le système patriarcal. Notre lutte passe par la sensibilisation, l’éducation et la déconstruction de tout ce qui fait ce système [patriarcal] : le déterminisme du genre, la culture du viol etc. Ce sont donc deux modes d’action complètement différents : les « Femen » vont avoir une action percutante, extrémiste pour augmenter leur visibilité et que leur parole soit prise en compte et écouté, cela peut être efficace dans une certaine mesure étant donné que les sujets du féminisme sont des sujets, qui la plupart du temps n’intéressent pas les médias dominants, jusqu’à récemment en tout cas. Ce sont des modes d’action comportements différents pour une lutte commune finalement.
- Comment et pourquoi vous êtes-vous lancée dans cette lutte ?
Je suis devenue féministe à l’âge de cinq ans, quand je faisais ma liste pour le père noël. Dans le catalogue, il y avait un côté rose avec des fers à repasser et un côté bleu avec des pistolets et là j’ai compris le déterminisme du genre, alors que je n’avais pas encore ces mots à cinq ans bien évidemment, mais je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose de bizarre qui m’avait froissé. Je suis allée voir ma mère, qui je me rappelle m’a dit « c’est comme ça » et toute ma vie durant j’ai toujours cette réponse de « c’est comme ». Puis en grandissant avec mes études j’ai commencé à découvrir que non ce n’est pas comme ça, ça n’a pas toujours été comme ça et ça ne le sera pas toujours. Dans le cadre de ma licence j’ai passé une année à Londres. Là-bas, il y a beaucoup de recherches qui on été faites sur ce thème et ça m’a permis de construire une réflexion sur le sujet et lorsque je suis revenue en France, je me suis tout de suite investie avec « Osez le Féminisme ».
- Quelle est votre définition du féminisme ?
Lorsque je définis le féminisme, je distingue genre et sexe. Le sexe biologique est celui avec lequel on naît et ensuite il y a le genre qui est pure construction socio-culturelle. Le féminisme est pour moi la lutte contre ces carcans, pour libérer chaque être humain, car le patriarcal nous enferme tous et toutes autant que nous sommes et qu’il y a autant de façon d’être, d’exister, de percevoir, d’aimer, de ressentir que d’êtres humains sur cette terre.
« Le féminisme est une lutte pour libérer chaque être humain. »
- Quelle est votre citation féministe préférée ?
C’est un grand classique, mais c’est : « On ne naît pas femme on le devient » de Simone de Beauvoir. Elle est parfaite. Justement, elle explique le déterministe du genre, cette construction sociale, le fait que le féminin et le masculin soient de pures constructions socio-culturelles. Et on le voit lorsqu’on navigue d’une époque à une autre ou d’une zone géographique à une autre que ces notions sont compléments différentes. Cette phrase parfaite, a été complètement précurseur à l’époque, cela à été révolutionnaire de la part de Simone de Beauvoir.
- Quel est votre moteur dans cette lutte ?
Mon moteur, c’est la sororité, l’amour, l’union. De voir que l’on a plus de choses qui nous rassemblent que nous divisent, nous les femmes et les hommes avec nous, nous les êtres humains. Et à partir de là on peut transcender toutes les choses qui nous divisent, toutes ces oppressions, c’est l’intersectionnalité, l’universalisme… Ce sont toutes ces valeurs-là qui me portent.
- Simone Veil, Simone De Beauvoir, nos ainés, menaient un combat contre les politiques. Vous menez un combat contre quoi ?
Le progressisme, prendre le problème aux sources, à la racine c’est-à-dire que par rapport aux anciennes vagues de féminisme, on va avoir en considération la question de modifier les mentalités. Aujourd’hui, notamment en France, même s’il y a des lois qui vont dans le bon sens, on se rend compte qu’elles ne sont pas appliquées dans les faits ou difficilement et que l’accès à des droits fondamentaux (comme l’IVG) est constamment remis en question. La question c’est pourquoi ? Et justement c’est à cause des mentalités, mais aussi car on vit dans une culture du viol, dans le déterminisme de genre permanent où les garçons et les filles sont conditionnés à devenir d’une certaine manière au sein de la société et où les personnels des institutions publiques comme la police, la justice ou les hôpitaux ne sont pas formés à ces questions-là. Notre mode d’action se concentre donc sur tout cela.
« Le féminin et le masculin sont des pures constructions socio-culturelles. »
- Un homme peut-il être féministe ?
Bien sûr. Au sein de l’association nous avons des militants très féministes. Les hommes peuvent être féministes, pas seulement par solidarité, mais aussi parce qu’ils luttent pour eux-mêmes. Ils luttent pour être libres, et c’est ce que nous souhaitons tous et toutes.
- Des affaires récentes comme l’affaire Weinstein ou des mouvement comme #BalanceTonPorc ou #MeToo, ont libéré la parole. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve ça formidable. Bien sûr on retient notre souffle parce qu’on ne voudrait pas que ce soit un mouvement qui s’épuise et qu’on en revienne à ce que c’était avant. Ce que je souligne vraiment dans ces mouvements-là, c’est leur caractère novateur. Toutes ces questions qui ont été abordées durant ces affaires ne sont pas toutes neuves. Toutes les personnes qui prétendent tomber des nues en entendant les témoignages, sont des menteurs et des menteuses, tout le monde savait très bien. Il y a eu d’autres affaires comme l’affaire Polanski, Cosby, DSK et j’en passe, et jamais ça n’a eu cet impact. À l’échelle internationale il y a réellement quelque chose qui se passe. L’élection de Trump a déclenché un tollé international, un élan de révolte. Toutes les femmes se sont pris un coup de poing dans la figure parce que c’est l’archétype de la misogyne incarné qui s’est retrouvé chef du « monde libre ». À partir de là, il y peu, les « Women’s March » qui ont réuni des femmes du monde entier et c’est cet élan-là qui a servi de terreau à l’affaire Weinstein et tout ce qui a suivi derrière. Maintenant, il faut profiter de cette médiatisation pour continuer notre travail de sensibilisation et éveiller les consciences.
- Que pensez-vous des récentes prises de position de Deneuve ou Bardeau, contre le mouvement féministe en marche ?
C’est une tristesse et une compassion inconnue que j’ai pour ces femmes, au-delà de colère que certains et certaines ont pu ressentir et qui est légitime. Elles ont intériorisé le patriarcat comme nous l’avons toutes fait, parce que devenir féministe c’est tout un processus qui implique de déconstruire tout ce que l’on nous a conditionné à croire. Ces femmes-là ont intériorisé une haine d’elles-mêmes et une solidarité de classe et non pas de genre et une sorte de dissociation entre qui elles sont et ce qu’elles revendiquent.
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- Considérez-vous certaines stars comme Beyoncé, Emma Watson ou encore Natalie Portman comme de bonnes porte-paroles ? Peuvent-elles faire avancer les choses ?
Bien sûr, les femmes sont peu visibles, elles ont été effacées de l’histoire consciemment. Aujourd’hui encore, dans certains secteurs nous avons du mal à exister ou du moins à être visibles, du mal à prendre la parole parce qu’une femme qui parle et qui s’exprime va être stigmatisée. Toutes ces femmes qui ont elles la lumière, se doivent presque d’être porte-paroles de cette cause-là. Il ne faut cependant pas oublier que chacune a son féminisme. C’est-à-dire que le féminisme d’Emma Watson n’est pas le mien, le féminisme de Beyoncé même si je l’admire beaucoup n’est pas le mien, celui de Natalie Portman déjà peut être un peu plus, mais le fait qu’elles profitent de leur position pour mettre ces sujets-là sur la table, et surtout en ce moment, c’est essentiel et c’est important.
- À Toulouse le féminisme ça donne quoi ?
Il y a des initiatives qui sont menées. Nous avons une élue à l’égalité homme/femme, Julie Escudier, une chargé de mission à la mairie de Toulouse, Sylvie Froidefond, maintenant, il y en a aussi une au département. II y a de plus en plus de choses qui sont faites sur ce sujet, des rapports d’activité sont générés chaque année. On peut tout de même se demander si les actions publiques relatives au féministes sont des actions de communication ou si elles ont une véritable efficacité. Toulouse est au final une ville comme une autre, où le sexisme existe puisque dans cette société [patriarcale] l’espace public n’est pas adapté pour les femmes.
- Où aimeriez-vous emmener votre mouvement ?
L’idéal serait une union des mouvements féministes. Sur Toulouse on travaille de manière unitaire entre associations féministes. Et au-delà de l’échelle toulousaine, il faudrait fédérer un mouvement à l’échelle globale. C’est un combat à mener à l’échelle mondiale.
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