Véritable institution aux États-Unis, le football américain peine à se développer en France tant sur le plan médiatique que sportif. Quelles sont les raisons de cet échec ? C’est justement l’objet de notre enquête. Journalistes et acteurs de ce sport ont accepté de revenir sur la faible implantation de ce sport dans notre pays. Problème de communication, de médiatisation, des équipements importants et coûteux (…), les problèmes sont nombreux en France pour ce sport roi outre-Atlantique. Décryptage.
C’est le sport numéro un aux Etats-Unis. Depuis près d’un siècle, les Américains se passionnent pour le football américain. Véritable religion outre-Atlantique, « le Football », ( NDLR, autre nom utilisé aux Etats-Unis pour parler de ce sport) ne cesse de réaliser des audiences records et d’attirer l’attention des grands médias américains. La finale du championnat de la NFL ( ligue américaine de football américain) est l’événement sportif le plus regardé à la télévision aux États-Unis et l’une des rencontres sportives les plus visionnées au monde. Le dernier Super Bowl ( finale de NFL) a attiré plus de 110 millions d’Américains derrière leur petit écran.
Ancré dans la culture américaine, le football américain n’a toutefois toujours pas réussi à s’implanter outre-Atlantique et notamment en France. La finale du dernier championnat américain diffusée en clair sur la TNT (W9) a attiré seulement 323 000 téléspectateurs. C’est 300 fois moins qu’aux Etats-Unis. Si l’horaire tardif du match due au décalage horaire entre les deux pays est l’une des raisons de ces faibles audiences, ce n’est pas l’unique facteur de ce désintérêt du peuple français pour ce sport collectif qui a immigré dans les années 1980 dans l’Hexagone. « L’un des premiers problèmes vient de notre culture. En France, on a été élevé avec le soccer, le rugby ou plus récemment le basket, des sports très simples à comprendre où le déroulement de la rencontre est fluide. Dans le football américain, il y a beaucoup d’arrêts de jeu qui vont venir hacher la rencontre. Le football américain est un sport collectif, extrêmement précis et intellectuel avec des phases de jeu prévues à l’avance. C’est très stratégique, c’est justement ce qui est intéressant, mais les Français ont du mal à apprécier cette culture du « jeu haché » détaille Vincent Arnaud, rédacteur pour la page Facebook Actu Football Américain. Autre problème d’ordre logistique et financier cette fois : « le football américain nécessite un grand terrain et un équipement coûteux » analyse George Eddy, journaliste sportif franco-américain pour le groupe Canal+. En effet, le football US requiert des terrains spécifiques avec de très nombreux marquages au sol et des dimensions qui doivent être faits au centimètre près.
« Un problème de médiatisation »
« La durée des matches (3h au moins) est également un frein en Europe et en général en France » souligne Maxime Malet correspondant sportif pour l’Equipe aux Etats-Unis. Les Français sont en effet, habitués à des sports collectifs où la durée des matches n’excelle pas les 1h30 (1h20 pour le rugby, 1h30 pour le football, 55 minutes pour le basket). Si les règles du football américain ne jouent pas en sa faveur dans sa perspective de développement au-delà de ses frontières, la couverture médiatique des grands médias français pour cette discipline n’est pas là pour rattraper les choses. « Il y a un problème de médiatisation. Le football américain ne va jamais être traité en France sous l’angle qui va permettre de faire progresser le sport en lui-même et pas ce qu’il y a autour. Dès qu’on va parler du NFL dans les grands médias, ça va être pour parler du show de Lady Gaga ou Beyoncé à la mi-temps du Super Bowl ou sur la dangerosité du sport. Soit ce sport est bien traité par les médias sportifs, soit pas traité du tout ou alors pas traité sur l’angle sportif et donc pas intéressant du tout » constate Vincent Arnaud, d’Actu Football Américain. Hormis durant le Superbowl où la couverture médiatique s’intensifie, le reste du temps, l’actualité de la NFL et les papiers de fond sur ce sport se font rare. Pour combler ce manque et permettre ainsi aux puristes de suivre l’actualité du championnat américain, des bénévoles passionnés créent des pages sur les réseaux sociaux. C’est notamment le cas d’Actu Football Américain sur Facebook, l’une des pages françaises les plus populaires sur le foot US qui publie chaque jour des posts sur l’actualité de la NFL. Une web-radio, RadiOssa tente également de donner une seconde vie et de développer ce sport par des émissions sur le foot US, mais également sur le football américain français. Car oui, vous ne le saviez peut-être pas, mais notre pays possède un championnat semi-professionnel de championnat américain. C’est l’objet de notre deuxième partie de notre enquête.
« Avant de parler de retransmission pour le championnat français, il faut parler d’abord de développement »
Si le football américain et son championnat majeur la NFL peine à se développer d’un point de vue médiatique, la situation est encore plus catastrophique pour le football américain français et son championnat de première division élite. Créé en 1982 par Laurent Plegelatte, ce championnat semi-professionnel rassemble chaque année huit équipes qui se disputent le Casque de diamant lors d’une finale à l’instar du modèle américain. Un championnat boudé par les médias nationaux et locaux ainsi que par les chaînes de télévisions sportives qui préfèrent se concentrer sur d’autres sports jugés plus vendeurs et rentables. Un choix qui peut étonner certains, mais que comprend Philippe Palos, président des Ours de Toulouse, l’un des plus gros clubs de 2e division du championnat français. « Avant de parler de retransmission, il faut parler d’abord de développement. Aujourd’hui, j’entends parler au niveau fédéral qu’il faut retransmettre les matches élites. Si, c’est pour voir des matchs où les tribunes sont vides, ce n’est pas la peine. Je pense qu’il faut d’abord axer sur le jeune et ainsi faire de l’insertion par le sport comme nous, on fait. Quand on construit une maison, on commence par les fondations, pas par le toit. Donc il faut prendre les choses dans le bon sens. Je pense que c’est l’erreur aujourd’hui en France de vouloir à tout prix médiatiser un sport, qui ne fait que 22 000 licenciés. »
« La Fédération Française de Football Américain ne fait pas assez d’efforts pour médiatiser la discipline »
Des stades vides, des équipes forfaits et des infrastructures pas toujours viables expliquent ce désintérêt des médias français pour ce championnat. En creusant un peu plus notre enquête, deux de nos interlocuteurs pointent un autre problème de taille : celui de la communication et notamment de la part de la Fédération Française de Football Américain (FFFA). « La fédération communique mal. Son projet aujourd’hui, c’est de retransmettre les matches. Alors que quand tu n’as que 22 000 licenciés, ton projet ce n’est pas de faire la retransmission, mais de développer. Le problème de la fédération c’est qu’elle est à Paris et donc du coup c’est Paris et les petits oiseaux. En Ile-de-France, ils n’ont pas de problèmes de transports, ils sont juste tous les uns à côté des autres. Alors que tu vas dans le Sud c’est déjà un peu plus compliqué. Les problématiques du Sud ne sont pas les mêmes que dans le Nord. Selon moi, il n’y a pas une volonté réelle de la part de la fédération de vouloir développer cette discipline » déclare Philippe Palos, président des Ours. Une idée que partage Vincent Arnaud, d’Actu Football Américain : « la fédération ne fait pas assez d’efforts pour médiatiser la discipline. Avant de passer à la télé, il faut déjà que les gens soient au courant qu’il est possible de regarder des matches de championnat élite en streaming (NDLR, des clubs français retransmettent leur match en streaming). Pour moi, la fédération se voile un peu la face, ils ne veulent pas trop se regarder dans un miroir et remettre en question leur communication. »
Le club des Ours de Toulouse innove pour redorer l’image de son sport
Délaissés par les médias et par sa propre fédération, les clubs de football américain français sont contraints pour développer leur discipline et faire parler d’eux de créer des actions de communication isolées. C’est notamment le cas des Ours de Toulouse qui multiplient » les buzz » ces derniers temps. Le club a notamment invité le célèbre Youtubeur, bodybuilder, Tibo Inshape à s’essayer à la discipline. Une vraie réussite puisque la vidéo a récolté aujourd’hui plus d’1,5 million de vues sur Youtube. Autre succès pour le club et ses 450 licenciés avec le défi du mannequin challenge. Le club de foot US toulousain a littéralement fait le buzz en parvenant dans sa vidéo du « mannequin challenge » à figer un ballon dans les airs. Une vidéo saluée par l’ensemble de la presse locale, et même nationale et qui a récolté près de 150 000 vues sur sa page Facebook.
[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=ZZJes6RR3WI[/embedyt]
Quel avenir pour le football américain français ?
Avec près de 22 000 licenciés en 2015, le football américain français peut se targuer de voir son nombre de licenciés augmenter d’année en année. En 23 ans, le nombre de licenciés a été multiplié par 23. Des progrès encourageant certes, mais qui restent encore minime comparé aux autres sports collectifs français. À titre d’exemple, le basket autre sport américain qui a lui réussi à s’exporter dans l’Hexagone compte 30 fois plus de licenciés en France que le football américain. Si Philippe Palos sait que le chemin est encore long et que le football américain français ne fera pas « la Une de Beinsport demain » il se montre plutôt confiant quant au développement de son sport à l’avenir sur le plan sportif : « On a des outils, des pratiques qui font qu’on peut développer ce sport. C’est un sport qui plaît, on a tout ce qu’il faut, il suffit juste de le mettre en place. Il faut montrer qu’on existe, c’est à nous d’occuper le terrain et changer les mentalités.
Les matches de football américain bientôt diffusés sur Twitter
Pour Vincent Arnaud, le développement médiatique du foot US en France passe par internet. « À l’avenir de plus en plus de jeunes vont regarder du sport sur leurs smartphones ou en streaming et moins regarder la télévision. Par exemple, moi je n’ai pas de télévision, dès que je regarde du sport c’est sur internet. » Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le souhait du jeune homme semble se réaliser. Le réseau social américain Twitter vient de signer un contrat avec la NFL pour diffuser des matches en direct sur la plateforme de microblogging. Il sera désormais possible de suivre chaque jeudi soir près 10 matches de football américain, et ce, gratuitement. De quoi favoriser l’essor du football américain en France ?
Le baseball : l’autre sport américain qui peine à se faire un nom
Si le hockey sur glace et le basket ont réussi à s’exporter en France, le baseball à l’instar du football américain n’a pas encore réussi à gagner le coeur des Français. Deuxième sport le plus populaire aux Etats-Unis avec près de 15 millions de licenciés, le baseball-softball ne compte que 15 000 licenciés en France et bénéficie comme son frère américain d’une très faible couverture médiatique. Des difficultés pour se développer similaires aux problèmes rencontrés par le foot US dans l’Hexagone selon Maxime Malet, correspondant sportif de l’Equipe aux Etats-Unis. « Les difficultés pour se développer sont multiples pour ces deux sports. D’abord, la nécessité de terrains spécifiques avec la forme spéciale du diamant pour le baseball. Ensuite, le nombre de joueurs nécessaires dans un effectif. Ce sont aussi deux sports qui demandent à des joueurs d’un certain niveau à des postes clés ( quaterback pour le football américain et pitcher pour le baseball) pour que ce soit agréable aux yeux du grand public. » Autre facteur, déjà évoqué un peu plus haut dans l’article, celui du problème du temps des matches ( 3h au moins) qui constitue un véritable frein. Pour la voix du basket sur Canal+, George Eddy, le constat est le même que pour le football américain.« Le foot US et le baseball nécessitent un grand terrain et un équipement coûteux. Ils font partie de l’histoire US et la culture profonde depuis plus de 100 ans. En France, beaucoup restent à faire pour ces deux sports qui n’ont pas la même tradition que le Basket en France. »
« Ce sport ne peut que se développer »
Pauline Prade, internationale française de softball ( Cousin du baseball) est consciente que les progrès restent important pour développer sa discipline tant sur le plan sportif que médiatique, mais semble optimiste au sujet de l’avenir du baseball-softball en France. « C’est un sport qui n’est pas vraiment développé, donc oui, il ne peut que se développer, en multipliant les interventions auprès des jeunes, en créant des liens avec la presse locale et en communiquant un maximum ». Il faut augmenter notre nombre de licenciés et démocratiser la pratique pour espérer avoir une place dans les médias. Et ce déclic pourrait intervenir en 2020 lors des JO de Tokyo puisque le baseball ainsi que le softball ont été ajoutés par le Comité international olympique ( CIO) dans les cinq nouvelles disciplines qui composeront le programme des prochains Jeux olympiques d’été. L’occasion de mettre un coup de projecteur sur ce sport et qui sait en cas de beau parcours de l’Equipe de France de développer considérablement la discipline à l’image de ce qu’on fait « les Barjots »dans les années 90 ( surnom de l’Équipe de France de handball masculin entre 1993 et 1996) pour le handball français.
Si le football américain et le baseball-softball ont encore du chemin à faire et des obstacles à contourner pour séduire le public français et les médias, l’avenir semble prometteur pour ces deux disciplines. Et qui sait, le football américain et le baseball seront peut-être un jour les sports de demain en France. Comme le disent si bien nos amis américains dans un de leurs célèbres dictions « Impossible is Nothing »( rien n’est impossible).
Chargement en cours…
À lire aussi : « Vivre du softball en tant que joueuse en France c’est impossible »
À lire aussi : » George Eddy : « le football américain et le baseball ont du mal à s’implanter par manque de moyens et de popularité »
À lire aussi : « Le football américain français souffre d’un manque de communication »