[ENQUETE] Après la prison, la vie doit continuer

La prison est un autre monde. La vie suit son cours, dehors, sans les détenus. La société évolue, de nouveaux présidents se font élire, des enfants naissent, des lois sont créées, les saisons passent. Derrière les barreaux, le temps s’arrête. Peut-on vivre comme avant une fois sorti ?

« Quand vous sortez de là vous vous dîtes « ouf, je suis dehors ». Mais vous mettez du temps avant de vraiment réaliser que vous n’êtes plus en prison. Je me réveille encore la nuit, à cause de cauchemars. Maintenant je m’énerve pour rien alors que j’étais très calme, avant. Et il y a des trucs que je n’arrive plus à faire. »

Jean* est sorti de prison en octobre 2016 après un an et demi passé derrière les barreaux. Aujourd’hui, il sait qu’il ne sera jamais plus celui qui a passé la porte pour la première fois, 21 mois plus tôt. Nourriture, drogues, promenades, mitard, bagarres. Les souvenirs reviennent quelque fois le hanter, la nuit, entre deux inspirations. Ils amènent avec eux la colère chez lui, qui était si calme. Mais la vie continue et Jean a voulu continuer à la vivre. « Commencer la réinsertion. C’était la seule solution pour tenir le coup, dès que j’ai passé la grosse porte de la prison. »

Le premier jour, les détenus sont affectés au quartier des arrivants. Ca y est. Ils entrent dans leur nouveau monde, entre angoisse et perte de repères. Mais c’est pourtant durant ces premiers jours qu’ils doivent prendre de nombreuses décisions qui, sans qu’ils le sachent, les aideront à s’intégrer et mieux revenir dans la société. « Je suis entré un an et demi après le jugement pour des raisons médicales. Du coup, j’ai pu bien préparer l’arrivée, je savais ce que je devais remplir », souligne Jean. S’inscrire à des activités, choisir la compagnie d’un visiteur, se dire qu’on va garder un pied dans le monde réel… c’est ici que tout se joue, dans cette cellule « où tout est ouvert, toilettes, douches… c’est là que ça commence. »

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat.

 

La cellule arrivant de Jean*./ Dessin DR Jean

« Comme vous pouvez le voir il y a un lavabo avec un miroir (une plaque d’inox). Juste derrière la douche et à gauche les toilettes. Les grilles sont horizontales et verticales. Il y avait une vitre cassée et le placard devant la table tombait en morceaux. Il y avait un frigo mais pas de prise de courant. Il est clair que c’est vraiment précaire. »

L’intégration en prison, la première étape

« Beaucoup de détenus sont perdus. Ils ne font rien de leurs journées. La prison fait même craquer les plus gros caïds. »

Jean se souvient des débuts difficiles. Tout son monde s’est écroulé, toutes ses habitudes se sont envolées dans un espace de vie d’environ 9m2. Au début, il n’allait même pas en promenade. « La première fois que vous sortez, on vous demande ce que vous avez fait, combien de temps vous restez. Si vous ne répondez pas, c’est que vous êtes un pointu (violeur). Et si c’est le cas, ils vous mettent au milieu de la cour, vous tabassent. Et les surveillants ne disent rien. C’est là qu’on voit qu’on est déshumanisés, que tout le monde est complètement perdu. »

Il se rappelle aussi de la nourriture catastrophique, des plaisirs que certains ne pouvaient pas se payer. « Pour manger à côté, c’était un système de cantine (acheter des produits en prison N.D.L.R.). Mais la première fois il faut attendre 4 mois avant que ça arrive et c’est très cher. Les 3/4 ne peuvent pas se payer quelque chose, la prison leur donne alors 20 euros par mois. Moi, j’avais de la chance, j’avais 200-250 euros par mois. »

Les détenus se retrouvent seuls, face à eux-mêmes./ Dessin DR Victore Segal

Les détenus sont en prison pour payer de leur faute. On les isole pour qu’ils prennent conscience de leur acte. Mais, de façon contradictoire, pour éviter une coupure totale avec le monde extérieur, le gouvernement a inscrit la réinsertion dans la loi. Dès leur arrivée, les prisonniers sont pris en charge par les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (Spip). Ils ont deux missions : surveiller les personnes confiées par l’autorité judiciaire en milieu fermé (prison) et ouvert (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle, contrôle judiciaire ou ajournement avec mise à l’épreuve) et favoriser leur réinsertion. Ce sont eux qui vont accompagner les prisonniers tout au long de leur détention et préparer la sortie.

Rester humain

Pour favoriser cette insertion, lutter contre l’illettrisme et éviter l’enfermement 22 heures sur 24 des prisonniers, de nombreuses associations interviennent au sein des prisons, aux côtés du Spip. Leur principale mission est de faire entrer un petit bout d’extérieur à l’intérieur des murs. En 2014, elles étaient une vingtaine à être conventionnées par le gouvernement. Parmi elles, le Genepi (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), une association étudiante. A Toulouse, ils sont une quinzaine de bénévoles à s’être engagés pour les détenus. Marie et Chloé racontent.

« Notre association repose sur 3 piliers. La réflexion et la formation autour du thème de la prison, la sensibilisation et l’intervention en détention. On est assez libre au niveau local. A Toulouse, nous avons voté contre l’intervention régulière. Nous allons mettre en place, en mai une VAO (Vacance à l’ombre) pendant une semaine. On a fait ce choix car on préfère construire un projet qui a du sens, apporter quelque chose de nouveau. Les groupes de détenus changent souvent, ils n’ont pas les mêmes niveaux, l’intervention régulière aurait moins d’impact. Nous pensons aussi que le système de la prison n’est pas adapté à l’individu. »

Les associations qui interviennent régulièrement proposent différentes activités. « On avait des cours : histoire-géo, anglais, français, maths, éducation civique, arts-plastiques et même marionnettes. » Elles sont ouvertes à tous les détenus, sous contrôle du Spip. Si les détenus veulent aller plus loin que de simples cours, ils ont aussi accès à des formations à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Jean a passé son brevet de secouriste durant ses mois de détention. « Il y a un détenu qui est sorti pour passer son permis poids lourd. » Pour ceux qui ont le comportement le plus correct, l’étape supérieure est le travail. 23 423 détenus avaient une activité rémunérée en 2014. Jean, lui, a travaillé 4 mois en cuisine. « Quand tu travailles, tu ne changes pas de cellule et c’est presque le grand luxe par rapport aux cellules arrivant ».

 

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Si l’administration pénitentiaire met un point d’honneur à cet accès culturel, les détenus, pour beaucoup ne sont plus intéressés. « On était peu à y aller. On était entre 4 et 6 en cuisine, le plus c’était en anglais, 8 dont un mineur. Sur 180 détenus. »

Pour les autres, la bibliothèque est une autre porte de sortie. Jean en avait fait son quotidien. « Le temps était plus long en prison. J’ai lu au maximum. Il y avait une bibliothèque, je commandais des livres chaque semaine, une trentaine. J’aimais beaucoup les livres sur la Deuxième Guerre mondiale. Je lisais toute la journée, 150-200 pages par jours, 3-4 livres par semaine. »

L’accès à la culture passe aussi par la lecture./ Camille Bigo

La famille

L’enfermement et l’isolement mettent à mal la volonté des détenus. Etre entouré reste le meilleur moyen d’avoir envie d’avancer. « J’ai eu de la chance car j’ai toujours eu l’appui de ma famille. Ma femme venait me voir toutes les semaines. Mes proches m’ont très vite convaincu de prendre les choses en main. » Jean était entouré. Pour d’autres, c’est plus compliqué. Certains détenus se trouvent à des centaines de kilomètres de leurs proches, qui n’ont pas toujours les moyens de venir apporter leur soutien toutes les semaines. Certains, aussi, ne l’acceptent pas et coupent définitivement tous les liens. Pour ne pas que les détenus se retrouvent définitivement seuls, les visiteurs de prison entrent en jeu et sont inscrits dans la loi.  En France, l’Association Nationale des Visiteurs de Prison compte près de 1 200 bénévoles qui se battent pour maintenir le lien social.

Patrick Franc, visiteur de prison depuis 40 ans :

« Je suis visiteur de prison depuis 40 ans parce que j’ai eu envie de m’occuper des gens qui sont dans la détresse. On a deux missions. La première, c’est une rencontre individuelle, semaine par semaine, avec les détenus. Ils reçoivent très positivement cette aide car on ne les juge pas et on ne le fait pas par intérêt. Quelques fois, une relation fraternelle né entre nous. On a aussi un rôle collectif, avec le Spip : on participe, par exemple, à la mise en place d’activités collectives comme tenir la bibliothèque. Tout ce qu’on fait c’est dans l’esprit de maintenir un lien social, important à la réinsertion. Les détenus qui réussissent cette réinsertion sont ceux qui cherchent ce contact, font des activités. Les autres sortent comme ils sont rentrés : sans repères, fragiles. »

Se ré-adapter à la vie

Et puis un jour, les barreaux s’écartent sur la liberté. Les détenus reviennent dans ce monde qu’ils avaient, pour beaucoup oublié. S’ils ont obtenu de nouvelles compétences en prison, nombreux sont ceux qui n’ont plus rien en sortant : plus de famille, plus d’amis, plus de boulot, plus de logement. Pour les aider dans cette nouvelle insertion, des associations sont là. A Paris, Le Mouvement pour la Réinsertion Sociale accompagne ceux qui le souhaitent.

Claire Tranchimand, Présidente de l’association :

« Nous accompagnons chaque année entre 400 et 600 personnes. La première étape c’est la réinscription administrative (carte d’identité, Pôle Emploi), sans laquelle on ne peut rien faire. Ensuite, le logement. Une centaine des personnes prises en charge est logée dans des chambres d’hôtel. Ca peut durer de quelques semaines à quelques mois pour mettre en place une stabilisation. Pour les autres, on fait appel à des logements sociaux. Enfin, c’est le travail avec, pour commencer, un état des lieux des compétences, des envies, des besoins. Les plus jeunes sont souvent orientés vers des formations. Les autres, vers de petits boulots ou des emplois d’insertion. Tout ça peut durer de quelques semaines à deux ans, on ne se fixe pas de date. C’est nous qui nous adaptons à chaque cas, pour éviter une rechute. »

Jean, lui, est sorti pour suivre une formation. Il l’a terminée le 7 janvier. Malgré une certaine stigmatisation, de nombreux patrons ne sont pas opposés à l’embauche d’anciens détenus. Thibaud Reau, patron de l’entreprise L’Eco Peint à Toulouse, en a déjà fait l’expérience. « Je ne suis pas contre l’embauche des détenus. Mais j’en ai déjà eu un avec un bracelet électronique et ça ne s’est pas bien passé. S’il ne trouvait pas de CDI, il repartait en prison. Il n’avait pas d’expérience et je pensais que je pourrais le former mais je n’ai pas pu. Ca n’a pas marché. Après, il y en a beaucoup qui sont là parce qu’ils sont obligés. Quand j’ai fais ma formation de peinture j’étais avec deux détenus qui n’avaient vraiment pas envie d’être là. Mais moi, après, tant que la personne a de la motivation et veut travailler, il n’y a pas de souci. »

Le statut d’ancien détenu pose plus de problème à l’administration. « A la sortie, le Spip est censé te suivre, mais il ne fait rien. Pour un stage, il faut leur demander un aménagement des horaires quand t’as un bracelet électronique. Ma formatrice a dû intervenir pour que je puisse travailler correctement car ça a été difficile à mettre en place », souligne Jean. En cause, le manque d’effectif ?

Il manque des moyens./ Camille Bigo

 

Jean a réussi sa réinsertion. Depuis le 9 janvier, il est en période d’essai pour peut-être décrocher un CDI. Sa famille est toujours près de lui. Tout s’est joué en quelques jours, à son arrivée. Il a pris conscience que c’était en entrant en prison qu’il devait préparer sa nouvelle entrée en société. Pour de nombreux détenus, c’est plus compliqué. Les conditions d’incarcération les déconnectent entièrement de la réalité. Une fois en dehors, difficile de les rattraper. Et si on ne trouve plus sa place dans cette société, que fait-on ? On retourne en prison. En 2013, 4 détenus sur 10 étaient récidivistes. Les moyens mis en place pour la réinsertion sont-ils réellement suffisants ?

 

 

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